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et fermait les portes avec prestance. Le fabricant n’était pas rentré chez lui depuis une heure qu’il vit apparaître ce turco qui, ne le reconnaissant pas, le prit à part et lui dit : « A la bataille de Wœrth, j’ai fait prisonniers trois chirurgiens allemands ; je leur ai enlevé leurs trousses, et viens vous proposer de me les acheter ; elles sont en très bon état, on les croirait neuves. » C’étaient trois des trousses que le fabricant avait abandonnées imprudemment à l’Hôtel de Ville. Il les garda, et ce furent les seules qu’il n’eut point à porter à l’article : profite et pertes, car les autres ne lui furent jamais remboursées.

Ils excellaient, pour la plupart, à solder leurs dettes sans bourse délier et pensaient que les prisons étaient faites pour donner patience à leurs créanciers. Maxime Lisbonne, sorti des compagnies de discipline, acteur, faillit non réhabilité, agent d’affaires, commandait la 10e légion fédérée. Il resta à Issy pendant une partie du mois d’avril et y combattit. Il prenait ses repas avec son état-major au séminaire, dont le cuisinier était chargé de fournir les victuailles et la boisson. Ce cuisinier, nommé Salomon, eut la malencontreuse idée de présenter sa note et de réclamer l’argent qui lui était dû. Lisbonne le traita de calotin et lui promit de le payer le lendemain même. Une heure après l’indiscret cuisinier était arrêté. Il demanda pourquoi ; on lui répondit en le conduisant à la préfecture de policé où il resta quatre jours. Au bout de ce temps, on le pria poliment de monter dans une voiture cellulaire et on le transféra à Mazas ; il n’en sortit que le 25 mai, à l’arrivée des troupes françaises. De cette façon, la note des repas de l’état-major des bataillons campés à Issy fut soldée avec une sage économie[1].

La commune dévalisait les administrations, les commissaires de police volaient avec effraction, les porte-galons réquisitionnaient. Les bataillons fédérés ne demeuraient point en reste et pillaient « en bandes armées. » Neuilly fut absolument mis à sac ; dans les maisons éventrées par les boulets et trouées par les balles, il ne resta pas un meuble, pas une bouteille de vin, pas un chiffon. Tout cependant ne devint pas la propriété des simples gardes nationaux. Une voiture chargée d’un butin dont la valeur approximative peut être estimée à 10,000 francs fut amenée à l’état-major de la place Vendôme ; elle arriva pleine et s’en alla vide ; les objets qui la chargeaient n’ont jamais reparut. Jusqu’au 10 mai, il n’y eut à Neuilly que des pillages isolés ; on cire les maisons, — la maison Daga, la maison Bouchez, la pharmacie Grez, — qui ont été ravagées ; mais à ce moment, le 257e bataillon vient prendre position dans la malheureuse petite ville. Les rares habitans qui n’ont point voulu

  1. Procès Lisbonne ; déb. contr., sixième conseil de guerre, 4 juin 1872.