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Rivière. Au début de toute science, les principes se produisent avec l’ambition des conquérans, avec toute l’arrogance d’une logique inflexible.

« Qu’on maintienne l’entière liberté du commerce, car la police du commerce intérieur et extérieur la plus sûre, la plus exacte, la plus profitable à la nation et à l’état, consiste dans la pleine liberté de la concurrence[1]. »

« Il est impossible que, dans le commerce abandonné à lui-même, l’intérêt particulier ne concoure pas avec l’intérêt général[2]. »

« Liberté générale, immunité parfaite, facilités universelles, voilà ce qu’il faut procurer aux trafiquans[3]. »

« Les premières notions du commerce, rapprochées de la véritable idée qu’on doit se former du meilleur état possible d’une nation, démontrent sans réplique la nécessité que le commerce jouisse de la plus grande liberté[4]. »

Ainsi parlaient les première maîtres de Turgot et d’Adam Smith. Mais déjà Turgot, d’un esprit aussi ferme et plus étendu que le leur, remarquait avec sagacité que, « pour bien traiter une question économique, il fallait oublier qu’il y a des états politiques séparés les uns des autres et constitués diversement[5]. » Ce qui implique, ex contrario, qu’en dehors de la pure théorie, c’est-à-dire dans la réalité, dans la vérité des choses, il est nécessaire d’en tenir compte. Adam Smith, bientôt après, fut plus net et plus explicite.

Adam Smith reconnaît deux cas où l’industrie nationale doit être protégée contre l’industrie étrangère, et deux autres où elle peut l’être, selon l’occasion et la circonstance. « La sécurité, dit-il, est pour un pays de plus grand prix que la richesse ; en conséquence, il convient d’encourager, par de certains avantages, toute industrie domestique qui parait nécessaire à la défense de l’état[6]. » Par ce motif, il approuve l’acte de navigation passé sous Cromwell, en 1651, lequel peut être considéré comme un code de droits protecteurs, très divers et très compliqués. « Quand un produit quelconque de l’industrie nationale, dit-il encore, devient l’objet d’un impôt et que le prix de ce produit s’élève en conséquence, il convient de le protéger contre la concurrence étrangère et de rétablir ainsi l’équilibre, pourvu toutefois qu’on puisse discerner suffisamment comment et jusqu’à quel point ce produit est affecté par

  1. Tableau économique de Quesnay, maxime XXV.
  2. Éloge de Gournay (Collect. des économistes, t. III, p. 270).
  3. Introd, à la phil. écon. de l’abbé Baudeau, ch. V, art. 5, 55, 2.
  4. Mercier de la Rivière (Ordre naturel des sociétés politiques, ch. XIV).
  5. Corresp., lettre VIII (Collect. des écon. t. IV, p. 800).
  6. On the wealth of nations, édit. de Mucculloch, liv. IV, ch. II, t. II, p. 292-295.