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bien mal fait comprendre. Nul n’est plus que moi convaincu qu’il n’est point d’opération dirigée contre le littoral ennemi qui ne suppose avant tout l’occupation de la mer. La flottille doit être couverte par la flotte. Il y a d’ailleurs un soin plus pressant que celui d’envahir le territoire des autres ; on a d’abord à protéger le sien. Établir la sécurité des passages, se porter en force à l’ouvert des grandes voies maritimes, tel est le premier devoir d’une marine qui veut affirmer sa prépondérance. Le commerce peut alors se poursuivre sans interruption, se poursuivre avec autant de confiance qu’en pleine paix ; les grandes pêches ne cessent pas de pourvoir à l’alimentation publique ; on reste en communication avec l’univers. Pour un pays refoulé par l’invasion sur lui-même, fut-il jamais rien de plus essentiel ? Vous avez fortifié Paris ; ni ses murailles, ni son héroïsme ne l’ont sauvé. Toulon, Brest et Cherbourg auraient pu, au contraire, devenir pour un temps indéterminé le refuge de l’indépendance nationale. Qu’on rende ces trois ports inexpugnables du côté de la terre, la marine saura bien empêcher que la famine ne vienne les livrer, comme elle a livré la grande capitale à un ennemi qui fût demeuré, sans la famine, impuissant. La flotte, croyez-le bien, a cessé d’être un luxe ; elle peut devenir, en quelques années, le bras droit de la France. Plus j’étudie l’histoire, plus je me pénètre de cette vérité : sans Cadix, il n’y aurait peut-être plus aujourd’hui de nationalité espagnole. Et Scipion ! Et Agathocle ! Est-ce qu’ils ne nous ont pas laissé, eux aussi, quelque exemple à suivre ? Ayez foi dans la marine ! Donnez-lui, sans hésiter, tout ce que son importance réclame ! Ne la couronnez pas de tant de fleurs, mais ne mutilez plus ses cadres ! Savez-vous, dans ces cadres, ce qu’il dépendrait de vous, à l’heure du besoin, de faire entrer ? Une armée de matelots ? Mieux que cela, je pense : une population de canonniers ! Grâce aux soins persistans d’une administration dont les vues n’ont certes pas manqué sur ce point de profondeur, il n’est guère de pêcheur français qui ne puisse devenir, dans l’espace de dix ou douze ans, un canonnier de premier ordre. Nos ressources, on le voit, sont immenses ; elles ne sont pas dispersées, comme celles de nos voisins, sur toutes les mers du globe ; notre magnifique littoral nous les garde ; sachons seulement en user !

L’Europe aujourd’hui est toute à la défensive. Chacun s’applique à combler ses rades, à hérisser ses côtes de canons, à semer l’entrée de ses ports de torpilles. Le beau profit si l’on doit être refoulé dans l’enceinte de ses arsenaux et enfermé, pour ainsi dire, au fond de sa tanière ! Rule, Britannia, rule the waves ! Donnez-moi le large, la possession incontestée de la haute mer, je vous tiendrai quitte du reste. Le large appartient aux gros bâtimens. Les gros bâtimens par malheur me paraissent avoir une fâcheuse tendance à se