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duc de Brunswick arrangera tout cela. — Le duc de Brunswick ! le duc de Brunswick ! pour soumettre la France ! »

Burke avait annoncé sa retraite prochaine de la chambre des communes et allait s’appeler lord Beaconsfield. La mort prématurée de Richard son fils unique, qu’il adorait, vint l’abattre jusqu’à terre. Ce n’était plus le même homme lorsque Montlosier le vit. Il n’était pas du reste pour lui un inconnu. Quand il lui avait adressé un exemplaire de son Essai sur l’art de constituer les peuples, Burke lui avait écrit une lettre de félicitations. Leur conversation eut lieu en français. Burke se plaignit de ne pas trouver dans l’émigration un homme de gouvernement à la hauteur des circonstances. Il distinguait entre la révolution et la France, et ne voulait qu’une guerre de partis.

Quant à Pitt, que Montlosier désirait entretenir au nom de Mallet Du Pan, il était plus difficile à aborder ; il le vit enfin et le trouva très en garde, vivant en dehors des émigrés et subissant plus qu’il ne le croyait leur influence. Pitt lui laissa comprendre qu’il se sentait engagé à mort dans la lutte du continent européen. C’était bien du reste le personnage qu’a dépeint Chateaubriand : grand, maigre, avec un air triste et moqueur, la face pâle, laissant tomber un regard dédaigneux sur quelques émigrés désœuvrés qu’il rencontrait en allant à pied, chapeau sous le bras, à travers le parc de Saint-James.


IV.

Montlosier avait épuisé toutes ses ressources lorsqu’il arriva à Londres. Il fallait trouver de quoi vivre. L’Angleterre venait de s’emparer de Saint-Domingue ; les négocians de la Cité se pressaient autour des créoles français afin d’obtenir d’eux la vente de leurs produits. Un des mieux liés, M. de Chaumilly, imagina de donner une fête au duc de Bourbon. Tous les Français un peu considérables y furent invités ; un M. Texier, attaché à la margrave d’Anspach, joua un proverbe intitulé : Il n’y a pas de douleurs éternelles. Malheureusement c’était le 21 janvier que cette fête avait lieu ; personne n’y avait fait attention. Montlosier, à qui nous devons cette anecdote, assure que le duc de Bourbon en fit tout à coup la remarque. Le choix du proverbe, celui du jour, la présence d’un prince du sang, tout n’était-il pas extraordinaire ? Heureusement les papiers anglais ne mentionnèrent pas cet événement.

Montlosier avait espéré que ses liaisons avec notre ancienne colonie pourraient lui assurer une position. Ses espérances furent déçues. Il avait retrouvé son ami Malouet, qui était depuis longtemps