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cet élément prédominant à l’origine, et, s’il ne succombe pas entièrement dans cette lutte ; il en sort toujours affaibli, il n’y puise jamais de nouvelles forces. Des aristocraties peuvent se former à la suite d’un bouleversement social, par le fait de l’invasion et de la conquête ; il est sans exemple qu’elles soient nées du développement organique et des révolutions intérieures des nations.

Une aristocratie peut rester un fait social après avoir cessé d’être une institution politique. Nous répétons souvent qu’il n’y a plus de classes parmi nous : cela est vrai au point de vue de l’état et des lois, non au point de vue de la société et des mœurs. Quoi que nous fassions, ce mot de classes revient sans cesse dans notre langage, et ce n’est pas seulement une façon de parler, c’est l’expression d’un fait réel, qui braye toutes les révolutions et toutes les théories sociales. Même une démocratie fondée sur un terrain vierge, comme celle des États-Unis, a ses classes sociales, et leur distinction tient une grande place dans la vie publique, comme dans la vie privée, quoiqu’elle n’en ait aucune dans les institutions. C’est que la démocratie américaine ne s’est pas formée toute seule ; elle est née au sein d’une société dont tous les élémens ont été empruntés à l’ancien monde, et si cette société s’est donné une physionomie propre, en même temps que des institutions nouvelles, elle n’a pu cependant, dans ses mœurs, rompre entièrement avec ses origines.

Le seul moyen pour les classes supérieures de conserver leur influence dans l’état et de la ressaisir quand elles l’ont perdue, ce n’est point d’attacher leur fortune à des privilèges presque toujours odieux, d’exercer sur la société une action tutélaire et bienfaisante. La plus grande force c’est d’une aristocratie est dans les mœurs. L’aristocratie qui domine véritablement en Angleterre, ce n’est pas la nobility, qui seule, par la chambre des lords, est une puissance politique ; c’est la gentry, qui n’est qu’une puissance sociale.

La distinction de la société et de l’état trouve encore sa place dans ces grandes questions politiques et sociales qui ont pour objet la famille, les religions, le domaine public et les propriétés privées. Nous ne ferons que résumer sur ces questions les remarques généralement très judicieuses de M. Bluntschli. La famille est un fait purement social. Elle n’est pas le type de l’état, elle n’est que celui d’une forme exceptionnelle de l’état : le patriarcat. En dehors de cette forme exceptionnelle, elle exerce cependant dans tout état une influence considérable et elle appelle partout l’intervention des pouvoirs publics, non pour la fonder ou la consacrer, mais pour la soustraire aux effets les plus dangereux de l’arbitraire individuel. De là les lois sur le mariage et l’institution du mariage civil. M. Bluntschli préférerait, pour le mariage, une célébration purement religieuse, « si le clergé n’en avait pas abusé pour entraver