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dégage entièrement que dans la conception de l’état moderne. Souveraineté et propriété, territoire et domaine, furent longtemps considérés comme des idées identiques. Le système féodal aggrave cette confusion en la compliquant par l’enchevêtrement des liens de vasselage et de suzeraineté ; mais, par là même, il prépare la distinction des deux idées en ne laissant place nulle part pour le plein exercice soit de la souveraineté, soit de la propriété. Aujourd’hui, pour les états civilisés, les cessions territoriales accomplies contre le gré des habitans sont le dernier vestige de l’ancienne confusion, et les protestations qu’elles soulèvent, les prétextes même que l’on invente pour en colorer l’odieux attestent combien elles répugnent aux idées modernes sur la souveraineté politique. Elles étaient déjà condamnées par Grotius dès les premières années du XVIIe siècle. Il demandait, au nom du droit naturel, « outre le consentement de l’état qui aliène, celui des habitans de la partie aliénée. » « La force des circonstances, dit avec une résignation trop facile M. Bluntschli, l’emportera souvent sur ce principe. »


IV

Le territoire national est la base matérielle de l’état. Le défendre contre toute invasion est le premier acte par lequel s’affirme la personnalité propre de l’état et l’union organique de ses membres. Comment les familles, les tribus, les peuplades réunies sur un même territoire ont-elles été conduites à le considérer comme leur bien commun, à éprouver pour lui le sentiment de la patrie et à s’y constituer sous la forme d’un état ? M. Bluntschli traite d’abord la question historiquement. Il passe en revue les causes générales qui, sur tous les points du globe, dans l’antiquité et dans les temps modernes, ont donné naissance aux états ou ont concouru à leur décadence et à leur chute. Ces causes sont tellement diverses et tellement complexes qu’elles se prêtent à peine à des classifications et qu’il est impossible de les réunir dans une théorie commune. Aussi ceux qui ont voulu édifier une telle théorie sur l’origine de l’état ont-ils eu recours, soit aux inductions préhistoriques, soit aux conceptions philosophiques. M. Bluntschli paraît ignorer cette science nouvelle et encore si conjecturale qui cherche à reconstituer les plus anciennes sociétés humaines, comme la paléontologie reconstitue des espèces animales depuis longtemps disparues, d’après quelques débris épars à la surface ou enfoncés dans les entrailles de la terre. Il ne discute que les hypothèses des philosophes : l’état de nature, le droit divin, le droit du plus fort, le contrat social. Le vice commun de ces hypothèses est de concevoir l’état en dehors de tout principe moral, en dehors des