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tous, suivant la division d’Aristote ; mais nos grands états modernes ne comportent ni l’aristocratie, ni la démocratie pures ; toutes les formes qu’ils peuvent revêtir se ramènent à deux : la monarchie et la république, et, sous ces deux formes, l’esprit qui domine dans leurs institutions et dans leur politique peut être également aristocratique ou démocratique, théocratique ou idéocratique.

Cette distinction entre l’esprit et la forme d’un gouvernement n’a pas échappé à M. Bluntschli. « Certains états, dit-il, sont théocratiques par l’esprit sans l’être par la forme ; ils reconnaissent un chef visible, humain ; ce n’est pas Dieu qui les gouverne, mais ce sera par exemple un prince de l’église, une aristocratie cléricale ou une certaine démocratie religieuse. D’autres sont aristocratiques, sans être des aristocraties pour le droit public (exemple l’Angleterre, monarchique par la forme, aristocratique par l’esprit), on démocratiques sans être des démocraties (exemple le royaume de Norvège), ou enfin monarchiques sans monarque réel (exemple la république française). » On ne saurait mieux dire, et nous ne contesterions pas même le dernier trait avec l’exemple qui l’appuie, car l’esprit monarchique lui-même n’est pas nécessairement attaché à la forme monarchique, et il est certain que la France, en devenant, par la force des circonstances et par l’impossibilité d’un autre gouvernement, un état républicain, n’a presque rien dépouillé, dans l’ensemble de ses institutions aussi bien que dans ses mœurs, du vieil esprit que lui ont imprimé quatorze siècles de monarchie. Il est regrettable qu’après avoir si bien posé cette distinction, M. Bluntschli n’en ait tenu aucun compte dans sa classification des gouvernemens.

Il la méconnaît également quand il repousse l’idée de gouvernemens mixtes. Oui, si l’on s’en tient à la forme apparente, un gouvernement ne comporte aucun mélange ; il est nécessairement et tout entier ou monarchique ou républicain ; mais, si l’on considère l’esprit qui l’anime, un gouvernement, dans les temps modernes et chez les peuples civilisés, offre rarement un caractère absolument simple. M. Bluntschli voit en France une république monarchique ; par contre, il ne craint pas d’appeler le gouvernement anglais une a monarchie républicaine. » Que devient donc son exclusion systématique de tout gouvernement mixte ?

Cette exclusion n’est pas une pure inconséquence ; elle se rattache à toute une théorie de la monarchie constitutionnelle. Esprit libéral, mais obsédé par certains préjugés allemands ou plutôt prussiens, M. Bluntschli a un goût très vif pour la monarchie constitutionnelle ; mais il la conçoit plutôt sous la forme prussienne que sous la forme anglaise, avec la suprématie personnelle du monarque dans toutes les matières de législation et de gouvernement. C’est à