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ne savait « ni lire ni écrire, » qu’il n’était bon qu’à parler ? Oui, il improvisait comme improvisent les orateurs qui méritent ce nom et qui ne disent pas toujours leur secret. Il improvisait après avoir longuement étudié et profondément médité. Il s’était toujours préparé par un patient et minutieux travail aux grandes discussions, sans dédaigner même les détails extérieurs de l’action oratoire. Une fois à la tribune, tout ce qu’il avait amassé se coordonnait et se combinait dans un courant plein de force et d’éclat. Il suivait son inspiration ; il intéressait ses adversaires eux-mêmes, M. Dupin tout le premier, son antagoniste en politique, son confrère au barreau, son ami de jeunesse, M. Dupin, qui, du haut du fauteuil de la présidence, jouissait de ses succès et criait aux interrupteurs : « Respectez le talent qui vous honore ! » Et ce qui doublait la puissance de Berryer, son autorité dans une assemblée, c’est que ce n’était pas seulement l’homme des mouvemens oratoires. Il avait une singulière aptitude aux affaires, qu’il traitait parfois en maître. Il a fait des discours qui étaient des discussions savantes de législation ; il en a fait aussi qui étaient des tissus de chiffres à travers lesquels jaillissait la flamme.

Au parlement il y avait en lui quelque chose de Fox, le brillant et puissant adversaire de William Pitt ; au barreau, c’était Erskine, au dire de lord Brougham, Erskine, « un des plus grands avocats que le monde ait jamais connus peut-être, » celui qui possédait le mieux « la première et suprême qualité du défenseur, de savoir calculer tout ce qui peut servir aux intérêts de son client. » Au milieu des absorbantes diversions de la politique, il aimait à se retrouver au palais : il s’y sentait chez lui, il y régnait. Il avait des cliens de toute sorte, sans distinction de rang ou d’opinion, parmi les princes et parmi les ouvriers, parmi les grands et parmi les humbles ; il en aurait eu un bien plus grand nombre s’il l’avait voulu, s’il avait pu y suffire. Comme avocat, Berryer avait l’esprit singulièrement net et pratique, « une dialectique vigoureuse et serrée, » — c’est un mot de M. Jules Grévy, — un sens supérieur de la jurisprudence, une vive intelligence des affaires, l’art de débrouiller et de dérouler les procès les plus compliqués avec autant de lucidité que d’ampleur. Il y joignait dans les causes criminelles cette puissance d’entraînement qui le faisait redouter, qui passionnait les auditoires, ébranlait les juges jusque sur leur siège et troublait parfois le ministère public lui-même. « On vous engage, s’écriait-il devant un jury, on vous engage à vous défier de mes paroles. on parle de fascination, on vante ce qu’on veut bien appeler du talent. Non, il n’y a pas de talent, je me connais bien, je sais ce qu’il y a en moi ! Je suis naturellement impressionnable, et