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d’affirmer que depuis l’ouverture de l’assemblée il n’y avait pas eu un instant où il eût été « dirigé par un autre sentiment, par une autre pensée que le besoin de servir la patrie commune dans une situation évidemment périlleuse. »

Défendre la société française menacée dans ses intérêts matériels, dans les ressorts de sa puissance financière comme dans sa vie morale, c’est la pensée dominante de Berryer dans les premiers temps de la république de 1848 et même au delà des premiers temps. Il a été pendant plusieurs années le grand rapporteur du budget, le porte-parole de l’ordre financier, — de l’ordre sous toutes les formes à côté des Thiers, des Montalembert, des Falloux, des Mole, des Changarnier, des Faucher. Que Berryer, en s’associant à ce mouvement spontané de défense sociale, eût une autre pensée, qu’il gardât sa foi politique distincte jusque dans cette alliance conservatrice qu’il avait contribué à former et dont il restait un des chefs, ce n’est point douteux. La révolution, il l’avait dit dès le premier jour, n’avait pas fait de lui un homme nouveau. Il ne croyait pas à la république la veille du 24 février, il n’y croyait pas beaucoup plus le lendemain, et les événemens qui se succédaient avec une terrible précipitation, qui en quelques mois conduisaient la France à une semi-résurrection impériale par la présidence acclamée d’un Napoléon, ces événemens n’étaient pas de nature aie convertir. Il n’était évidemment qu’un républicain de raison, de nécessité, de résignation ou de circonstance, et d’un autre côté, tout conservateur qu’il fût, il n’était pas non plus de ceux qui appelaient la réaction pour la réaction, qui auraient accepté tous les moyens pour sortir de la république ; il n’était pas de ceux qui « embrassaient une ombre d’hérédité » en choisissant un prince pour président, « en se complaisant dans les souvenirs étroits qui lient invinciblement le nom de Bonaparte à la fin de la première république. » Malgré les rapports tout personnels et affectueux qu’il avait gardés avec le prince Louis, depuis qu’il l’avait défendu devant la cour des pairs, il n’avait pas favorisé la candidature napoléonienne, il n’avait pas voté pour l’élu du 10 décembre. Tout ce qu’il pouvait faire était de ne pas refuser l’appui libre de son influence, de sa parole à ce pouvoir nouveau dans la mesure des intérêts nationaux et conservateurs, — jusqu’à la limite où se dévoilerait une ambition d’empire. En un mot, Berryer restait ce qu’il était, un homme de sincérité acceptant la république, la constitution de 1848 sans illusion, prêtant son concours au gouvernement d’un grand nom sorti du scrutin populaire, et en définitive réservant la foi de son esprit, attendant en pleine indépendance le dernier mot de cette dramatique expérience.

Rien assurément de plus étrange que cette situation telle que la