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des races inférieures qui ne sont capables ni des mêmes conceptions ni des mêmes vertus que les premières. Nous n’y contredisons pas, bien qu’il nous semble qu’il y a au fond de cette question un malentendu qui consiste à opposer les résultats de civilisations séculaires à la nudité de barbaries prolongées par le fait de circonstances fatales. Pour être tout à fait juste envers les races inférieures, ce sont les tout à fait premiers ancêtres de nos peuples nobles qu’il faudrait leur comparer, et alors on aurait peut-être chance de retrouver cette égalité de nature qui s’est perdue par le cours du temps au bénéfice des races privilégiées. On s’apercevrait alors que, sans remonter aux âges préhistoriques, les Celtes anthropophages et les Pietés tatoués n’étaient pas si loin des Caraïbes, et que pour la férocité la distance est médiocre entre les Francs de Grégoire de Tours ou les hommes aux longs couteaux qui envahirent l’Angleterre, et n’importe quelle peuplade célèbre par sa cruauté. A coup sûr, si l’on cherche chez ces pauvres indigènes de l’Afrique australe quelque grande conception métaphysique ou religieuse, on n’y trouvera ni brahmanisme, ni bouddhisme, ni mazdéisme, et l’on pourra les mépriser à l’aise ; mais, si l’on s’en tient aux coutumes qui règlent leur vie, on sera obligé de convenir que les Européens devront chercher d’autres raisons pour établir l’infériorité de leur nature, car il n’est pas une de ces coutumes que nous ne rencontrions chez les peuples les plus célèbres et qui ont tenu le plus haut rang dans l’histoire générale. Voyons plutôt.

Ils sont polygames, c’est ce qu’ont été, c’est ce que sont aujourd’hui encore tous les peuples de l’Orient sans exception. Ils achètent leurs femmes moyennant un nombre de vaches qui varie selon l’âge ou la beauté de la fiancée et la position des parens ; n’est-ce pas exactement ce que faisaient les tribus germaniques et Scandinaves, et le morgengab était-il autre chose qu’une transaction de cette nature ? Toutes les circonstances d’intérêt qui résultent de ces marchés matrimoniaux sont réglées par une procédure, quelquefois bizarre, mais en somme parfaitement conforme à l’équité. Si le mari répudie sa femme pour raisons valables, il rentre en possession du bétail donné ; s’il la répudie sans motif acceptable, il paie son caprice de la perte de l’indemnité constituée au profit des parens. Meurt-il sans que sa femme lui ait donné des enfans, les vaches passent à ses héritiers ; sa femme quitte-t-elle la hutte conjugale, sa fuite y fait rentrer du même coup le bétail qui était le prix de sa personne. Cette femme, quoique achetée, ne peut jamais être vendue. Le mari a sur elle droit de correction, non de mauvais traitemens ; s’il y a blessures ou sévices graves, comme dit notre code, une amende est prononcée correctionnellement par le chef de la tribu. Elle travaille au profit du ménage, bêche, pioche, plante, sème et récolte, ce qui