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sympathie. Et encore, la lumière elle-même n’est-elle pas impassible : brillante ou obscurcie, joyeuse ou triste, elle apporte à la peinture un élément de passion. Là où il n’y a ni expression, ni lumière, soyez-en certain, la peinture n’existe pas. Mais si, dans la sculpture, il n’y a pour ainsi dire point de degré, et s’il est difficile de la concevoir autrement que comme un art élevé, dans la peinture la diversité des objets auxquels le talent s’applique établit des distinctions et une hiérarchie ; et il y a un mode de la peinture qui s’appelle le grand art.

On dit aujourd’hui que le grand art s’en va : on entend déplorer sa décadence. Mais d’abord, qu’est-ce que le grand art ? Admettons, si l’on veut et pour ne point discuter, que ce soit celui qui s’inspire uniquement des religions, de l’histoire sacrée et profane, et qui, s’attachant ainsi à des sujets d’un ordre élevé, recourt pour les traiter à des formes choisies. Est-il vrai que les idées de cet ordre soient délaissées ? Nullement, et cela n’est pas possible. Une certaine manière de les mettre en œuvre est seule abandonnée ; elle est déjà d’un autre temps. Ne médisons pas de ce temps : il a pu se tromper, mais il aspirait très haut. Il s’était fait, croyons-nous, de la grande peinture une idée erronée. Prenant dans l’étude de la sculpture son point de départ, il tendait ainsi à restreindre le domaine pittoresque. Sans doute le grand art doit être grave, mais on le voulait, pour le moins, sévère. Au lieu de laisser l’artiste libre de donner à son ouvrage tous les agrémens dont il aspire naturellement à le parer, on préférait lui en interdire l’usage au nom de sa dignité. Coloris, clair-obscur, dessin même, étaient une protestation contre le charme, contre l’éclat que les yeux souhaitent cependant et auquel a droit toute image qui prétend surpasser la réalité. Là simple nature avec la lumière qui l’enveloppe n’a-t-elle pas plus d’attrait ? Et, tout en reconnaissant que le dessin doit passer avant tout, la couleur, qui achève la vraisemblance et qui la rehausse, doit-elle être abaissée au nom d’une fausse austérité ? On ne saurait l’admettre, et nous croyons qu’il n’y a point de chef-d’œuvre qui ne saisisse par l’aspect. Voyez un tableau de maître dans un musée, dans un salon, dans le réduit le plus modeste ! Ne vous apparait-il pas comme un objet de la plus grande richesse et comme un rayon de lumière ? Plus l’art s’élève et plus il doit porter avec lui de splendeur.

Mais ce n’est pas tout : l’étude des maîtres nous apprend encore que le grand art n’est pas limité. Il n’est pas une recette qui puisse se transmettre non plus qu’une formule arrêtée qui s’enseigne et qui s’impose. Il y a toujours quelque chose qui vient démentir la formule et dépasser le cadre que l’on croyait fermé. Si humble que soit une première donnée, il peut en sortir une œuvre