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cherche avant tout, c’est la beauté spirituelle, absolue, au-dessus de la matière. Il repousse tout ce qui lui impose une limite. Telle est la raison du romantisme, la dernière phase de la lutte de l’intelligence avec son idéal pour le dégager.

C’est avec la vigueur et la puissance du génie que Hegel conçoit et qu’il explique la distinction fondamentale qui s’établit entre l’art classique et l’art romantique, qui est d’abord l’art chrétien. Il définit admirablement ce nouvel aspect de l’idéal qui, mettant à la place de l’homme fait dieu un dieu fait homme, établit en puissance l’union de l’âme humaine avec la divinité, et donne à la créature, à sa conscience, à sa personnalité, à ses luttes et à ses souffrances une valeur infinie.

De là résulte d’abord tout le cercle religieux des premiers siècles du christianisme pendant lesquels l’artiste, s’oubliant en Dieu, arrive à des représentations d’un sentiment profond, d’un caractère souvent grandiose, mais dans lesquelles la forme trahit son impuissance à rendre l’esprit d’une manière parfaite. Au fond, le but que l’on se propose d’atteindre n’est pas la beauté matérielle, mais l’expression. On ne sympathise point avec des créations classiques ; elles se suffisent à elles-mêmes. Mais l’idéal pathétique auquel l’âme de l’artiste s’identifie, pour lequel sa personnalité s’anéantit, c’est la vie, la passion, la mort de l’homme de Dieu, l’amour divin.

Les siècles s’écoulent, et notre personnalité, toujours inquiète, se lasse de son abnégation. Elle porte son activité sur le théâtre de la vie humaine. L’artiste, incapable de se satisfaire dans un état qui l’isole de la société et de lui-même, pénètre dans le monde, mais ne s’y établit que sur un terrain transitoire où l’idéal tient sa place, intimement mêlé qu’il est encore au sentiment religieux. Le moment est venu cependant où il lui est donné de créer pour lui-même et en pleine liberté. Et alors son activité se révèle par la poursuite de l’idéal chevaleresque qui réside dans l’indépendance de l’honneur, dans la profondeur de l’amour, dans le dévoûment de la fidélité.

Mais bientôt ces hautes conceptions s’effacent, et le tableau que nous présente le philosophe prend un intérêt saisissant, car nous entrons en scène, et il s’agit de nous-mêmes. Jusqu’ici l’indépendance du sujet esthétique avait été complète ; mais voici que l’instinct individuel se met au-dessus du sujet, que tout dépend désormais de la volonté de l’artiste, de son esprit et de son talent. Maintenant les conceptions des sujets sont purement personnelles : elles deviennent le résultat de la fantaisie. Ainsi se manifeste l’indépendance