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dont le nom acquit alors une triste célébrité. L’entourage immédiat de l’imposteur se composait des kosaks qui avaient les premiers levé avec lui l’étendard de la révolte et s’étaient substitués aux atamans régulièrement élus. Selon la logique inexorable de l’émeute, ces premiers arrivés au festin s’y maintenaient avec peine, enviés et poussés à leur tour par les nombreux convives qui, ayant suivi leur exemple au début, voulaient le suivre jusqu’au bout, jusqu’au pouvoir. Parmi eux, l’audace ou le hasard distingua surtout trois hommes : Zaroubine, dit Chika, que nous avons vu patronner le premier le vagabond de l’Iayk ; il prenait le titre de feld-maréchal et passait après le prétendant. Puis venait un ancien caporal d’artilleurs, connu sous le sobriquet de Biéloborodof, — Barbeblanche ; on le créa grand-maître de l’artillerie et directeur de la chancellerie du tsar illettré. Un brigand surnommé Chlopouche, dont les méfaits avaient désolé la contrée depuis vingt ans, se trouvait dans les prisons d’Orenbourg au début du siège ; Reinsdorp, toujours mal avisé, promit sa grâce à ce repris de justice, s’il portait ses proclamations dans le camp des rebelles : Chlopouche les porta, en effet, et tout droit aux mains de Pougatchef ; il entra fort avant dans sa confiance et passa de forçat feld-maréchal. Moins heureux que son maître, il avait subi sa sentence : marqué au front et les narines amputées jusqu’à l’os, le feld-maréchal Chlopouche portait toujours un voile noir pour cacher sa hideuse difformité. Connaissant de longue date le fort et le faible du pays, il commandait le corps chargé de rançonner les fabriques de l’Oural ; il en ramena des milliers de recrues, faites parmi les travailleurs de ces établissemens, et des canons qui augmentèrent l’artillerie de Barbeblanche. Trouvant leurs noms peu glorieux, ces sinistres plaisans prenaient d’habitude entre eux les titres des plus illustres généraux de la cour de Catherine ; Chika s’appelait le comte Tchernichef, un second le comte Voronzof, un troisième le comte Panine ; un autre galérien était le comte Orlof. Lugubres parades de la chiourme, qui font rire l’histoire, mais qui coûtèrent des flots de sang et de larmes aux contemporains épouvantés ! — « Et voilà les hommes qui ébranlèrent l’empire ! » — s’écrie Pouchkine en racontant ces détails. Il se fût moins étonné s’il eût plus vécu ; il aurait pu voir des états bien autrement rassis, solides et homogènes que la Russie de Catherine, poussés au bord de l’abîme par de semblables kermesses, humiliés par la lutte avec les généraux du crime, humiliés après la lutte par leurs hautaines revendications.

Avec le bruit des exploits de Pougatchef, la panique volait dans tout l’empire. Les gouverneurs de Kazan et de Moscou recevaient de Reinsdorp courriers sur courriers, demandant du secours en toute