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nobles et d’officiers, et installa un simple kosak à l’hôtel de ville. Une tradition que Pouchkine n’a pas accueillie veut que le faux tsar aux abois se soit fait couronner solennellement dans la cathédrale. Il ne garda sa conquête que deux jours. Michelsohn, son perpétuel trouble-fête, avait retrouvé sa piste à Penza ; il accourut à Saratof et traversa seulement la ville, stupéfaite de cette chasse donnée à son vainqueur, au prétendant qu’elle avait reçu à genoux.

Pougatchef se dirigea sur Tsaritzine ; cette place, clef du bas Volga, était défendue par de braves gens et lui fit un rude accueil ; l’approche de Michelsohn ne lui permit pas de s’obstiner dans l’attaque. Il se vengea sur un malheureux astronome, Lovitz, qu’il rencontra aux environs, occupé de déterminations du méridien. — « Quel homme es-tu ? demanda le brigand. — Je contemple les astres du ciel, répondit le savant. — Alors qu’on le rapproche de ses étoiles, » s’écria le facétieux coquin, et il ordonna de pendre Lovitz. — Descendant toujours au sud sur la rive droite, il s’arrêta à mi-chemin entre Tsaritzine et Astrakhan, dans ces stanitzas kosakes de Tchorny Iar auxquelles une épidémie récente a procuré une cruelle notoriété. Ce fut là que Michelsohn le joignit enfin, le 25 août au matin. Pougatchef avait emmené de Saratof une vingtaine de mille hommes, serfs et vagabonds sans armes ; il déploya ses kosaks et son artillerie sur les ailes de cette masse confuse, pour la pousser à l’ennemi et écraser ce dernier sous le nombre ; mais il avait eu le tort de se laisser acculer au Volga. Dès les premiers coups de canon, la tourbe désordonnée se rejeta en arrière ; un carnage sans précédent commença : on en tua quatre mille, on en prit sept mille, tout le reste se noya dans le fleuve ; Pougatchef passa dans une barque, et le lendemain il se cachait dans les bois de la rive gauche, avec trente kosaks. Cette victoire décisive fut la dernière : en rejetant son adversaire au delà du Volga, dans les steppes inhabitées, Michelsohn lui enlevait la chance de refaire une armée ; après cette furieuse randonnée à travers la Russie, la bête revenait se faire forcer au lancé. L’honneur de sa capture devait être enlevé au vigoureux soldat qui l’avait si rudement menée. À ce moment arrivait du Danube à Tsaritzine le jeune Souvarof, avec une commission de Panine qui lui conférait le commandement supérieur de la région. Préludant à son heureuse fortune, le futur prince d’Italie venait recueillir ce que d’autres avaient semé. Souvarof s’engagea dans la steppe sur les traces du vaincu, qui fuyait vers l’Iayk.

Comme tous les malfaiteurs qui se sentent perdus, les complices du rebelle ne pensaient qu’au moyen de se sauver en se vendant les uns les autres. Un jour, après un dernier conciliabule, les principaux chefs kosaks entrèrent dans la tente où l’imposteur habitait