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yeux : « Ministère de la guerre, Paris le 23 mai 1871. Ordre aux municipalités de nommer des chefs de barricades, un au moins par quartier. Timbre rouge : Ministère de la guerre ; bureau d’armement. » On obéissait à ces instructions anonymes ; sans hésiter on nommait des chefs de barricades, et on brûlait les maisons. Le comité de salut public intervient cependant directement lorsque l’on a résolu d’évacuer, d’incendier l’Hôtel de Ville et de se retirer à la mairie du XIe arrondissement. De celle-ci, il faut faire une forteresse et un arsenal, car c’est là que l’on comptait tenir jusqu’à la fin, c’est de là que partiront les ordres et les élémens de destruction. On y pourvoit de la sorte : « Paris, le 23 mai 1871. Ordre aux municipalités de requérir immédiatement les produits chimiques inflammables et violens qui se trouvent dans leur arrondissement. Le comité de salut public ; timbre rouge du secrétariat général. Le secrétaire adjoint, G. Jauffret. Faites brûler les maisons assaillies par les Versaillais ou la réaction. C. J. »[1]. Cet ordre est terrible ; seul, il constitue un aveu sans restriction ; est-ce pour cela qu’on le fait signer par un secrétaire adjoint, que l’on y chercherait en vain le nom d’un des cinq membres du comité de salut public, Ant. Arnaud, Billioray, Eudes, Gambon, G. Ranvier, — et qu’on n’y trouve même pas celui du secrétaire général : Henri Brissac.

Les inférieurs, au contraire, ceux qui, même au péril de leur vie, cherchent à faire du zèle et à se donner de l’importance, n’hésitent pas. On croirait qu’ils ont mis leur vanité à accumuler les preuves de leur culpabilité. Ils se livrent tout entiers. Aussitôt que l’ordre collectif que je viens de citer est parvenu à la mairie du XIe arrondissement, un simple délégué municipal, dont la spécialité paraît avoir été pendant la commune de persécuter les prêtres et d’interdire l’accès des églises, le citoyen Magdonel, écrit de sa meilleure encre et de sa plus mauvaise orthographe : « Ordre aux commissaires de police de réquisitionner immédiatement tous les produits chimiques inflammables et violants qui se trouve dans votre arrondissement et de les concentré au XIe, pour mettre dans les caves de l’église Saint-Ambroise. Le délégué municipal : Magdonel. » Lorsque la commune vint s’installer à la mairie du boulevard Voltaire, ses instructions avaient été suivies ; on avait obéi aux prescriptions de Magdonel, et le comité de salut public avait à sa disposition de quoi brûler la moitié de Paris. C’était le 24 mai ; nos troupes avançaient et les insurgés, reculant devant elles, détruisaient les monumens, les îlots de maisons qu’ils n’avaient su conserver. De la mairie même, dans cette journée, partit un ordre de dévastation presque anonyme, car malgré les hauts personnages

  1. Cité par M. Jules Simon : le Gouvernement de M, Thiers, t. 1, p. 445-446.