Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne capitulaient pas du tout. Aussi que de plaintes, que de récriminations ! Les officiers se dénoncent entre eux, les soldats accusent leurs officiers ; les officiers se plaignent de leurs soldats ; ce n’est plus de l’indiscipline, c’est de la dissolution. Les chefs eux-mêmes ont entre eux des façons d’agir inqualifiables, ils s’injurient, se gourment et se battent comme des crocheteurs. Un sieur B…, sous-intendant, qui a commandé le 178e bataillon, est convoqué à la place, pour rendre compte de sa gestion à son successeur en présence d’Hippolyte Parent ; le sieur B… paraît ne pas fournir des explications satisfaisantes, ce qui lui procure quelques désagrémens : « Le commandant R., m’a frappé et jeté par terre en présence du citoyen Parent ; ce dernier n’y a pris aucune part d’abord, mais ensuite il m’a insulté en plein bureau et en présence de témoins. « Il n’en est que cela. Le pauvre diable malmené et battu se contente d’écrire le 26 avril à la commission exécutive pour lui demander justice. Il garde pour lui les injures et les soufflets qu’il a reçus, quitte à les rendre en temps opportun à un de ses inférieurs. Dans l’escadron des cavaliers de la république, que jamais l’on ne parvint à former complètement, le lieutenant colonel ivre prenait à la gorge un capitaine également ivre, et roulait avec lui sur le fumier des écuries du quartier de l’Alma. Les cavaliers, divisés en deux factions adverses, adressaient pétition sur pétition au délégué à la guerre, pour faire révoquer, pour faire maintenir le lieutenant colonel : « Il n’entend rien à la guerre, il était trompette. — C’est un admirable soldat, c’est un héros. » La délégation classait, annotait les rapports, les mémoires et n’osait prendre une décision ; car la moitié menaçait de déserter, si le lieutenant colonel était remplacé ; l’autre moitié se refusait à tout service, s’il n’était révoqué. J’ai entre les mains les pièces de cet étrange conflit auquel mit fin l’arrivée de l’armée française. Si l’on pouvait regarder, dans presque tous les bataillons on trouverait facilement trace d’historiettes analogues.

On avait beau recommander la vigilance aux fédérés, leur dire que le salut de la république était en eux et non ailleurs, exciter leur émulation et leur montrer les Versaillais dont il fallait repousser les approches, ils n’en tenaient compte ; quelque chose parlait dans leur cœur plus haut que l’amour de la commune, que les grands mots d’honneur et de devoir avec lesquels on essayait de soulever leur courage, c’était le goût de l’eau-de-vie. Vers les derniers jours même, lorsque l’armée française précipite ses attaques et montre ses têtes de colonnes derrière la gabionnade de ses tranchées écrasant les remparts, ils se sentent invinciblement sollicités par le cabaret et ils y courent plus vite qu’au feu. Dans un rapport adressé le 18 mai à Edouard Moreau, je lis : « Redoute de