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bien et, parce qu’on voulut les en chasser, brûlèrent Paris. Rossel, que je cite souvent parce que son témoignage désintéressé est des plus précieux, les avait bien jugés : « Je cherchais des patriotes et je trouve des gens qui auraient livré les forts aux Prussiens plutôt que de se soumettre à l’assemblée. « Il ne pouvait se douter, du fond de la retraite encore ignorée où il écrivait ces lignes, combien il était perspicace. Si l’une de nos forteresses n’a pas été remise par les communards aux Allemands, c’est parce que ceux-ci ont refusé d’en prendre possession. Pour bien faire comprendre l’hypocrisie de ces manœuvres qu’ils qualifiaient de politiques, il faut revenir aux journées qui ont précédé le 18 mars et rappeler ce que j’ai déjà dit de l’organisation de la fédération de la garde nationale d’où sortirent le comité central et la commune.

Le lecteur se souvient qu’à la réunion générale des délégués des bataillons tenue le 24 février 1871, la motion suivante fut adoptée à l’unanimité : « Au premier signal de l’entrée des Prussiens dans Paris, tous les gardes nationaux s’engagent à se porter contre l’ennemi envahisseur. » C’est là le point de départ. De cet acte excessif, mais patriotique jusqu’à l’absurde, naît la commune ; nous verrons bientôt quel est l’acte suprême de son existence. On ne fut pas long du reste à s’apercevoir que cette belle résolution de mourir aux portes mêmes de Paris pour empêcher l’ennemi d’y pénétrer n’était qu’une facétie révolutionnaire pleine de vantardise, sans valeur et sans dignité. Lorsque les Allemands se donnèrent la mince satisfaction de venir camper pendant vingt-quatre heures dans une partie du VIIIe arrondissement, on dut, afin d’éviter toute chance de collision, entourer d’un cordon de troupes les quartiers dont la convention militaire leur interdisait l’accès. L’armée régulière était insuffisante, très diminuée et ne pouvait former qu’un rideau qu’il était indispensable de faire doubler, à courte distance, par une ligne de gardes nationaux. On était fort perplexe ; la garde nationale était bien décidée, on l’a vu, à se jeter à coups de baïonnettes sur les Prussiens. On redoutait les événemens les plus graves et on ne savait trop comment parer aux éventualités que l’on prévoyait ; une lutte entre l’armée allemande et l’armée parisienne eût incontestablement entraîné la ruine de Paris. Les forts étaient entre les mains de l’ennemi ; la ville eût été pulvérisée. Le général Vinoy a pris la commission d’enquête pour confidente de ses inquiétudes et il lui a raconté comment il s’était facilement tiré de ce pas difficile : « Je fis appel à la garde nationale. Elle ne voulait pas marcher, ce qui me dérangeait beaucoup. » Un colonel dit alors : « Pour engager les gardes nationaux à se charger de ce service, il faudrait leur payer double journée. » Je répondis : « Mon Dieu ! si cela peut les décider, va pour la double journée. Je signai l’ordre. Nous avons