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vieilles paillasses et de chaises cassées, on aperçut trois lits orthopédiques qui avaient servi jadis à des pensionnaires dont la taille était déviée. En outre, dans des chambres proprettes, bien aérées et convenablement meublées, on trouva trois femmes aliénées qui étaient logées et soignées dans la maison. Il n’y avait là rien que de naturel ; on cherche à redresser les bossues, on essaie de guérir les folles, cela se voit partout, dans les pensionnats, dans les asiles, dans les couvens, dans les hôpitaux, dans les maisons particulières. Mais Fenouillas et Clavier s’éclairèrent mutuellement aux lueurs de leurs flambeaux révolutionnaires. Les lits orthopédiques sont des instrumens de torture et de débauche destinés à mater la vertu résistante ; les trois malades dont le délire raisonne et déraisonne alternativement sont « des victimes cloîtrées, » maintenues en cellule parce qu’on redoute leurs révélations ou parce qu’on veut s’emparer de leur fortune. Prévenu sans délai, le ministre de la justice Protot accourt et se garde bien de contredire le Fenouillas ; Raoul Rigault intervient aussi ; tout en se bourrant le nez de tabac, il déclare que ça ne le surprend guère, qu’il soupçonnait tout cela depuis longtemps, que c’est du reste une bonne affaire dont il faut tirer parti.

On en tira parti en effet. Instrumens de torture, séquestration violente, cela eût dû suffire, mais on voulait davantage. On fit des fouilles, et immédiatement on découvrit des squelettes ; tout de suite les squelettes devinrent des cadavres. On n’avait qu’à fouir le sol de ce quartier, il est fait d’ossemens ; car c’est là que la sœur aînée de la commune de 1871, c’est là que la commune de 1793 fit établir un cimetière supplémentaire, dans un terrain situé derrière le jardin de l’ancienne maison des dames chanoinesses de Picpus, pour y déposer les restes des « aristocrates » que l’on guillotinait sur la place du trône renversé[1]. Ces squelettes représentèrent facilement les victimes du cléricalisme. Le soin de répandre cette fable grossière fut laissée aux journaux communards, qui s’en acquittèrent avec enthousiasme ; corsets de fer, recluses, ossemens : quels accessoires pour une mise en scène ! On n’oublia rien, pas même une sorte de jouet d’enfant, un petit berceau qui avait contenu un Jésus de cire et qui avait figuré dans une crèche lors des fêtes de Noël. Toutes les dames blanches furent conduites à la prison de Saint-Lazare, et les fédérés vinrent visiter ce couvent, théâtre de tant de forfaits mystérieux.

Que Vermesch, qui dans son Père Duchêne avait la spécialité

  1. Une partie de ce cimetière achetée par la famille des suppliciés sert encore aujourd’hui de lieu de sépulture et est enclose dans une congrégation religieuse de la rue Picpus.