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lorsqu’ils s’en écartent, et ceux-ci doivent leur obéir en tout ce qui concerne « la punition des méchans et la correction des mœurs. » Une surveillance active et continuelle soumet tous les officiers de judicature à l’action du pouvoir central. Les missi dominici[1] remplissent auprès d’eux les fonctions d’inspecteurs généraux. Tous les ans ils font, dans quatre endroits différens, quatre tournées d’un mois chacune, et pendant leur séjour dans chaque localité ils convoquent les évêques et les personnages notables pour vérifier la conduite des juges, reviser leurs arrêts, remplacer ceux qui ont démérité et faire droit aux réclamations des justiciables. Au retour, ils rendent compte de leur mission à l’empereur, qui décrète les réformes jugées nécessaires.

Le placite du palais conserva sous les Carlovingiens les attributions dont il était investi sous la première race, mais lorsqu’il se trouvait embarrassé pour juger les contestations qui s’élevaient entre les dignitaires du clergé, les leudes et les juges royaux, l’empereur évoquait la cause ; il faisait comparaître les parties et rendait ses arrêts, dit Éginhard, en se chaussant, en s’habillant, et même pendant la nuit. Tout ce qu’il était possible de faire dans une société où se heurtaient tous les contrastes, où la force primait le droit, Charlemagne l’avait fait pour assurer aux populations de son vaste empire les avantages d’une bonne justice, comme on disait au moyen âge ; mais l’œuvre de ce grand homme, conception idéale d’un génie qui devançait la marche des siècles, ne devait pas lui survivre. Louis le Débonnaire et Charles le Chauve essayèrent encore de maintenir l’édifice qu’il avait élevé ; leurs efforts furent impuissans. La loi des partages, qui divisait le royaume à la mort de chaque roi en autant de lots territoriaux qu’il y avait d’enfans et les aliénations bénéficiaires, qui déjà sous les Mérovingiens avaient porté de si rudes atteintes à l’établissement monarchique, furent plus fatales encore à la seconde dynastie franque. Par suite de la transformation du bénéfice en fief héréditaire et de l’immunité, c’est-à-dire du droit qui, en affranchissant les églises, les monastères et les bénéficiers de la juridiction royale, leur conférait en même temps la haute juridiction dans leurs domaines, la justice se morcela comme le sol. Elle répondit, en se divisant, aux diverses classes de la société, au double caractère du pouvoir dont les rois étaient investis comme suzerains et comme souverains, et l’on eut de la sorte, sous les Capétiens : — la justice féodale de la noblesse terrienne et militaire ; — la justice féodale de l’église, qui était entrée par ses biens fonciers dans la seigneurie ; — la justice canonique de l’église, qui

  1. Capitula missis data. Baluze, t. I, 363.