Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/446

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les institutions et produisait les dissemblances dont le contrôleur général de Calonne s’est plaint si vivement dans l’assemblée des notables de 1787. Au lieu de ramener la justice vers les mêmes centres, ils l’éparpillèrent en quelque sorte entre toutes les administrations ; chaque service public eut son tribunal particulier, chaque fonctionnaire fut doublé d’un magistrat. Les contraventions en matière d’impôts fonciers et personnels ressortissaient des élections ; en matière d’impôts indirects, boissons, denrées alimentaires, bestiaux, des aides ; en matière de gabelles, des greniers à sel. On avait pour la pêche et les délits forestiers les maîtrises des eaux et forêts ; pour la chasse, les capitaineries royales, les bailliages de la grande vénerie de France, la varenne des Tuileries ; pour les délits concernant la police des métaux précieux et les faux-monnayeurs, les cours des monnaies ; pour les douanes maritimes, les amirautés et les maîtres des ports ; pour les douanes frontières et intérieures, les traites foraines. Le même enchevêtrement se reproduisait dans les tribunaux ordinaires et les juridictions personnelles à certains officiers. Au civil ou au criminel, on comptait les bailliages, les sénéchaussées, les présidiaux, les lieutenans criminels, les lieutenans civils, la maréchaussée, le grand prévôt de France, etc. Les mêmes délits et les mêmes crimes étaient souvent attribués à trois ou quatre juridictions différentes et pouvaient appartenir en même temps aux tribunaux administratifs et aux tribunaux ordinaires. Ces divers tribunaux créés au jour le jour, suivant l’organisation des services publics, étaient inégalement répartis sur la surface du territoire ; les uns n’existaient qu’à Paris, les autres dans tout le royaume, ou seulement dans quelques provinces[1]. Les questions de compétence soulevaient de continuels conflits. Les maîtrises des eaux et forêts disputaient les braconniers aux bailliages de la grande vénerie ; les lieutenans criminels disputaient les vagabonds à la maréchaussée. Les intendans pouvaient faire arrêter sans jugement et même condamner à mort les individus convaincus de séditions et d’attentats contre la sûreté générale, et les parlemens les réclamaient parce qu’à leurs yeux la sédition était un cas royal. Ces querelles intestines éternisaient les procès. Les juges, avant de s’occuper des causes qu’ils avaient à vider, plaidaient entre eux devant le parlement ou le conseil du roi pour savoir à qui elles appartenaient. Les justices seigneuriales, ecclésiastiques et laïques, dont le nombre était effréné, c’est un mot souvent répété par les états-généraux, augmentaient encore le désordre, en évoquant une foule d’affaires

  1. Les présidiaux n’existaient que dans les ressorts du parlement de Paris, de Rouen et de Rennes. Sur trente-deux généralités, dix-neuf seulement avaient des élections, et neuf des cours des aides.