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signa. Rossel évita les galères et mourut. Il croyait bien qu’il serait sauvé[1], et connaissait probablement la tentative que l’on devait faire pour son évasion. Le 27 novembre 1871, à six heures du soir, le directeur de la maison de justice de Versailles, au moment où il rentrait chez lui pour dîner, reçut la visite de Mme et de Mlle Rossel, mère et sœur du condamné. Mme Rossel, fort émue, après avoir remercié le directeur des attentions qu’il avait pour son fils, lui demanda brusquement de ne pas trop surveiller les gardiens pendant la nuit et de laisser échapper le prisonnier. Le directeur, surpris d’une telle proposition, ne répondit point, afin d’apprendre jusqu’où le projet d’évasion avait pu être poussé. La malheureuse femme reprit avec insistance. Elle affirma au directeur que M. Thiers serait satisfait de l’évasion ; elle promit les plus hauts emplois, dans un avenir prochain, à celui dont elle espérait faire un complice ; elle parla de 20,000 francs en or qu’elle avait là, à la disposition de ceux qui lui permettraient de sauver son fils. Le directeur fut très ferme et très humain. Il repoussa sans peine les offres qui lui étaient faites et, par pitié pour une mère désespérée, voulut bien ne point révéler cette tentative de corruption. Le résultat de cette demande insensée fut que l’on doubla les postes, qu’il fut interdit aux surveillans d’ouvrir la porte des cellules, de sortir dans le chemin de ronde sans être accompagnés, et que le directeur, ne se couchant point, resta debout, l’oreille aux écoutes et l’œil aux aguets. En outre, des patrouilles circulèrent pendant la nuit autour de la prison. Le lendemain, 28 novembre, Rossel fut remis aux exécuteurs de la justice militaire en même temps que Théophile Ferré et Pierre Bourgeois.

Je crois que Mme Rossel se trompait lorsqu’elle affirmait au directeur de la maison de justice que M. Thiers verrait sans peine l’évasion du condamné ; mais il me paraît certain que le chef du pouvoir exécutif estimait que tous ces détenus, tous ces accusés, tous ces condamnés, étaient un embarras dont il aurait aimé à être délivré. A cet égard, je puis être très affirmatif. Chez M. Thiers, l’exigence politique dominait toujours, et l’indulgence qu’il eut pour certains coupables en est la preuve. Un homme bien connu à Paris, fort aimé de tout le monde, original, exubérant et très bon, avait recueilli chez lui un des chefs les plus compromis de la commune ; ne sachant trop comment lui procurer des papiers d’identité qui lui

  1. Rossel avait formé un recours en grâce qui fut apostille par un grand nombre de ses camarades de promotion à l’École polytechnique ; par plusieurs notables de Metz ; par le général Vergne et les officiers du camp de Nevers ; par des dames de la maison nationale de Saint-Denis ; par son père et sa mère ; par M. Léon de Maleville, député ; par un certain nombre d’habitans de Valentigney et de Mandeure (Doubs).