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commune famille, et finit par lui déclarer qu’il était résolu d’ailleurs, si ses offres étaient repoussées, à s’ouvrir de force un passage dans les Gaules. En même temps il envoyait dans le camp de Lépide des émissaires qui représentaient à leurs anciens frères d’armes tous les avantages d’une défection.

Il n’en fallait pas tant pour ébranler Lépide ; et de ce même port d’Argens, il écrivait au sénat qu’une sédition venait d’éclater dans son armée, qu’il craignait un soulèvement général et que, dans l’intérêt de la paix publique, il faisait sa jonction avec celui qu’il avait reçu l’ordre de combattre comme un ennemi. C’en était fait de la république. Les pronunciamientos militaires allaient devenir la seule politique de Rome. La patrie était livrée aux généraux maîtres des légions, et quelques années plus tard, après des luttes sanglantes, le triumvirat s’effondrait lui-même et le monde romain était la proie d’une volonté unique et souveraine.

Aucun témoignage n’est plus authentique que les deux lettres de Plancus et de Lépide, et il en ressort tout d’abord que les distances portées sur les itinéraires de l’empire et sur la carte de Peutinger sont erronées, et que le Forum Voconii, la dernière station de l’armée de Fréjus, était exactement à 24 milles de Fréjus, sur la rive droite de l’Argens.

On sait que les stations militaires, établies par les Romains au milieu des peuples nouvellement soumis, se trouvaient autant que possible à la rencontre de deux vallées et étaient placées de préférence sur des hauteurs de manière à faciliter la surveillance du pays. Les deux villages de Vidauban et de Châteauneuf remplissent très bien ces conditions stratégiques. Ils se touchent presque et sont tous deux à 24 milles de Fréjus. Le plateau de Châteauneuf devait être le castrum de l’armée romaine ; le forum proprement dit, c’est-à-dire la ville et le marché d’approvisionnement pour les troupes, était dans la plaine de Vidauban. La convergence en ce point de la vallée de l’Argens venant de l’ouest, de celle de la Floriège venant du nord, et de celle de l’Aille qui permettait l’accès dans les montagnes des Maures, offrait des avantages très sérieux pour l’établissement d’un forum qui devait être l’utile auxiliaire de la colonie militaire et maritime de Forum Julii. Le camp de Lépide était donc nécessairement établi un peu en avant de la station romaine, sur la rive droite de l’Argens, et dans une position excellente qui aurait pu lui permettre de défendre vigoureusement le passage du fleuve, s’il n’avait été séduit par les promesses et peut-être troublé par les menaces de celui qui allait bientôt partager avec lui le pouvoir. Le pont d’Argens, théâtre de la défection de Lépide, était encore debout il y une trentaine d’années ; ses trois