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ils ont couvert le sol de leur immense empire. On est assez porté à croire que ce peuple fort par excellence, a voulu donner systématiquement à tous ses monumens un caractère de vigueur très prononcé et une grande majesté architecturale. Rien n’est moins exact, et une étude récente et très approfondie de M. l’ingénieur Choisy sur l’Art de bâtir chez les Romains permet de se rendre compte aujourd’hui de tous leurs procédés de construction et de l’organisation de leurs chantiers dans les moindres détails. Les Romains n’avaient pas en réalité d’architecture qui leur fût propre. L’élément principal de tous leurs édifices était la voûte et l’arceau, et ils l’avaient emprunté aux Étrusques. C’est d’eux aussi qu’ils avaient adopté dans le principe ces blocs énormes appareillés sans ciment et qui distinguent la plupart des monumens de la république. Ce mode de construction d’ailleurs, où chaque pierre éveille l’idée d’une difficulté vaincue, convenait trop à l’expression de leur puissance pour tomber en désuétude le jour où Rome parvint au terme de sa grandeur ; aussi ne fut-il abandonné à aucune époque. Les colonnes de granit dressées dans les monumens de l’empire, les monolithes lourds et massifs comme des obélisques égyptiens qui portent la retombée des grandes voûtes, les quartiers de roche taillée qui forment l’enceinte des amphithéâtres, tous ces fastueux revêtemens que les architectes des bas temps appliquaient à leurs grands édifices montrent assez, malgré la différence des styles, que les constructeurs de Rome n’ont jamais entièrement oublié les antiques traditions puisées à l’école des maîtres étrusques. Mais l’esprit essentiellement pratique des Romains, leur goût instinctif pour les choses simples et utiles, les poussèrent bientôt à employer dans les constructions publiques des procédés d’exécution beaucoup plus économiques et surtout beaucoup plus rapides. Déjà, dès la fin de la république, les embellissemens de Rome, entrepris avec une fiévreuse activité, n’étaient plus qu’un moyen de faire oublier au peuple son ancienne vie politique ; et la ville aux sept collines se couvrit, sous Agrippa, d’édifices consacrés aux plaisirs et aux fêtes de la multitude. Les colonies n’étaient que le reflet de la métropole ; on y déployait la même activité pour la construction des mêmes édifices ; c’était partout la même discipline savante, la même rapidité d’exécution, facilitée d’ailleurs par les ressources d’une main-d’œuvre gratuite et presque inépuisable.

Il était en effet de principe à Rome que le soldat ne devait dans aucun cas rester inoccupé ; et, en l’employant aux ouvrages de construction, on voulait avant tout le préserver d’une oisiveté dangereuse. Fréquemment les troupes romaines furent ainsi chargées de travaux quelquefois superflus. Quand Vitellius fit élever par ses