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d’exécution et la plus grande sécurité d’exploitation[1], M. de La Roncière Le Noury demanda la parole. L’honorable amiral posa en principe que, dans une œuvre aussi colossale, ce qui devrait dominer toutes les autres considérations, c’était la salubrité des travaux. L’orateur déclara qu’il avait une entière confiance dans la science des ingénieurs, — quelles que fussent les difficultés à surmonter, l’exemple de Suez prouvait que rien n’était impossible à ceux qui joignaient à la science de l’ingénieur la volonté énergique de faire de grandes choses, — mais qu’il ne partageait pas cette idée hasardée par quelques personnes étrangères à la réunion, que les champs de l’industrie ressemblaient aux champs de bataille et qu’on ne devait pas compter ses morts, pourvu que la victoire s’ensuivît. Il ne fallait pas imiter l’exemple du chemin de fer de Panama à Colon, dont l’exécution avait coûté des milliers d’existences ; l’honorable amiral pensait que la solution du problème du canal ne dépendait ni de l’argent à dépenser, ni des difficultés à résoudre, mais des sacrifices à faire en hommes : « le projet qui exigerait le moins de sacrifices de vies humaines serait celui qu’il appuierait de préférence. »


I

L’isthme de Panama, cette digue immuable qui, tout en séparant l’Océan-Atlantique de l’Océan-Pacifique, divise en deux parties à peu près égales le continent américain, est situé entre les 6e et 18e degrés de latitude nord et les 78e et 98e degrés de longitude ouest du méridien de Paris. Il n’a pas moins de 600 lieues de longueur et une largeur de 12 à 14 lieues dans ses parties les plus resserrées. Sur cette étendue la nature paraît avoir réuni comme un spécimen des grands phénomènes terrestres des continens voisins : volcans éteints, cratères en activité, lacs, rivières, torrens, baies profondes, forêts impénétrables, tout s’y retrouve, à l’exception cependant de l’arête rocheuse qui suit si fidèlement les côtes du Nouveau-Monde du nord au sud. Il y a, il est vrai, dans l’isthme de Panama ou plutôt dans l’Amérique centrale des chaînes de montagnes, il y en a même dans quelques îles de la mer intérieure ; il n’y a nulle part de cordillère proprement dite. Ce sont des groupes détachés, formant des plateaux de 1,500 à 2,000 mètres de hauteur à Costa-Rica et à Guatemala, rayonnant en petites ramifications comme les Cévennes en France, dans la partie

  1. Lettre de M. Ferdinand de Lesseps (Paris, 16 Janvier 1875) à son excellence M. de Marcoleta, ministre de Nicaragua près sa majesté britannique, et à M. Petit Didier, consul général de Nicaragua en France.