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engouffrent avec furie pendant six mois de l’année ; du côté du Pacifique, la baie de Tehuantepec est exposée à des ouragans si dangereux et si fréquens qu’elle a fini par prendre le nom peu rassurant pour des navigateurs de bahia Ventosa. Ainsi donc, de ce côté, le projet d’un canal est positivement rejeté, et il est probable qu’il l’est pour toujours. C’est à regretter, car nulle partie du globe n’a été plus favorisée par la nature que le Tehuantepec. Nous eussions voulu, comme le voulait Fernand Cortez, voir reparaître la vie sur les rives grandioses du Guazacualco, là où tant de ruines muettes, ensevelies sous des linceuls de verdure, attestent la grandeur de deux races autrefois très puissantes, les Méjès et les Zapotèques[1]. M. l’abbé Brasseur de Bourbourg, qui a eu le rare privilège de parcourir cette région peu connue, nous a laissé de sa fécondité, de son aspect, de la richesse de ses vallées, le tableau le plus séduisant. « Sous le triple rapport de la fertilité, du climat et de la situation géographique, nous apprend M. l’abbé Brasseur, la vallée du Guazacualco doit être considérée comme une des plus magnifiques du monde. La terre rend au centuple ce que la main de l’homme lui confie, et pour la même somme de travail produit au moins six fois autant qu’aux États-Unis. C’est la patrie des bois précieux de toute espèce, du caoutchouc, de la salsepareille, de l’indigo, du sang-de-dragon, du café, du cacao, du sucre et du maïs, et ces produits ne demandent qu’un travail insignifiant pour enrichir un peuple actif et industrieux. » Le lecteur ne regrettera-t-il pas avec nous que de si beaux pays soient voués à la solitude ?

Bien différente de Tehuantepec est la contrée du Darien, la partie de l’isthme dont l’exploitation fut confiée deux fois, en 1871 et en 1873, au commandant Selfridge. Au premier abord, la constitution du pays paraît assez favorable à l’établissement d’une communication interocéanique. Un golfe profond dans l’Atlantique, celui du Darien, un autre golfe sur le Pacifique, le San Miguel : une chaîne de montagnes qui s’abaisse et s’entr’ouvre sur plusieurs points, enfin un grand fleuve courant en ligne droite, l’Atrato ; tout cela explique pourquoi cette contrée a, depuis Humboldt, attiré l’attention de ceux que préoccupe le problème du canal. Mais voici où les difficultés commencent : « La contrée du Darien est couverte d’une forêt vierge de 15 à 30 mètres d’élévation, souvent impénétrable sur le bord des cours d’eau. Le pays est très accidenté de rivières, la plupart torrentielles et qui, à sec au printemps, acquièrent une puissance et une hauteur extraordinaires pendant

  1. Don Bénito Juarez, président du Mexique, et Porfirio Diaz, le héros de Puebla, sont de race zapotèque.