Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/713

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« a rattaché étroitement à l’empire les colonies, dont le sort était traité par M. Gladstone comme une chose presque indifférente, et c’est lui aussi qui, par une politique énergique à l’encontre des ennemis de l’Angleterre, a rendu au nom de sa patrie l’éclat qu’il avait perdu. » Au travers des ondoiemens de son caractère et des contradictions de sa vie, deux choses seront toujours glorieuses à ce tory radical. Il n’a jamais renié ses origines, il ne s’est pas lassé de célébrer Sion, il a déclaré plus de cent fois à ses compatriotes que ce qu’il y a de meilleur dans le chrétien, c’est le juif. D’autre part, ce merveilleux orateur, qui de 1852 à 1873 a passé dix-sept années dans l’opposition et à qui tout semblait bon pour renverser un cabinet whig, n’a jamais combattu une mesure proposée par ses adversaires, lorsqu’il la croyait propre à relever au dehors l’honneur anglais.

Parmi les griefs raisonnes ou déraisonnables qu’on peut avoir contre lui, il faut compter ses livres ; beaucoup d’Anglais ont peine à lui pardonner d’avoir été romancier et de s’en trop souvenir. Et cependant que serait-il devenu, s’il n’avait pas écrit des romans ? Ils ont été la soupape de sûreté de son imagination orientale. La littérature est une délivrance ; jeter ses rêves sur le papier est une façon d’en finir avec eux. Quand celui qui n’était pas encore lord Beaconsfield se sentait incommodé par les fumées capiteuses de son romantisme, il s’en soulageait en créant un Sidonia, homme de mystère, irrésistible enchanteur, omnipotent, omniscient et se faisant obéir de l’univers comme de son chien. Quand Benjamin Disraeli voyait en noir le régime parlementaire et qu’il s’indignait qu’une reine de la Grande-Bretagne fût réduite à la condition d’un doge vénitien, il se débarrassait des utopies dont il était tourmenté en les faisant conter à l’univers étonné par l’un des fils de son esprit, par quelqu’un de ces héros de la jeune Angleterre qui emploient leur temps à refaire des trônes, à fonder des empires et quelquefois à causer politique avec des anges. On sait du reste que dans ces romans qui ont fait tant de bruit et qui méritaient d’en faire tout ne se passe pas en songes creux ; la vie nous y est représentée tantôt comme un rêve, tantôt comme une affaire. — Demandez aux romans de Disraeli, a dit un critique, quel est le plus beau moment de la vie d’un homme, ils vous répondront : C’est la minute où il surprend la femme adorée lisant avec une attention recueillie le discours qu’il a prononcé la veille au milieu des applaudissemens de la chambre des communes. — On apprend aussi, en les interrogeant, que, si l’amour est une passion divine, il faut s’en priver pour peu qu’on n’ait pas un revenu de 500 livres sterling, mais qu’au surplus il suffit de la vue de deux éperons pour chasser toutes les idées de suicide.

Le romancier avait enseigné beaucoup de choses au politique ; il lui avait appris que l’imagination est un moyen de gouvernement, qu’il faut savoir s’emparer de l’esprit de la foule et que, n’en déplaise à