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Européens, attachés au palais sous des titres divers, étaient heureux de joindre à ces titres, plus ou moins honorifiques, le titre moins glorieux, mais cent fois plus productif, de fournisseur. D’autres profitaient de leur situation, non pour passer eux-mêmes des marchés, mais pour en faire passer à des banquiers et à des commerçans, qui leur donnaient, par reconnaissance, les bakchich les plus rémunérateurs. Comme M. Jourdain, ils n’étaient pas commerçans, mais ils faisaient pour leurs amis un commerce singulièrement productif. En quelques années s’élevaient ainsi des fortunes considérables. Tel qui, parti d’Europe couvert de dettes, avait eu l’heureuse inspiration de se fixer au Caire dans les antichambres du palais d’Adbin, était devenu tout à coup millionnaire. Le vice-roi ne marchandait rien à ses intimes. Il ne refusait jamais de leur accorder une affaire, quelques feddans de terre, quelques concessions importantes, quelques commissions fructueuses de marchandise. Tous les fonctionnaires européens étaient loin d’ailleurs de montrer cette avidité peu scrupuleuse dont les familiers du palais donnaient l’exemple ; mais il n’en est presque aucun qui ne profitât des désordres administratifs de l’Égypte afin d’obtenir, soit pour lui, soit pour l’œuvre dont il poursuivait la réalisation dans ce pays, des dons considérables. Comme il n’y avait aucun budget fixé d’avance et sérieusement limité pour chaque service, lorsqu’on avait besoin d’argent on s’adressait au khédive, et si l’on avait la chance de tomber sur un bon jour, on recevait immédiatement tout ce qu’on demandait. Passait-il dans l’esprit de quelque novateur de créer, par exemple, une école de filles au Caire, il suffisait d’aller trouver le khédive et de lui démontrer qu’une nation civilisée ne pouvait se dispenser de donner aux femmes une instruction étendue. Aussitôt le khédive s’enflammait pour cette idée civilisatrice, et, comme il tenait en principe à faire toujours grand, il construisait, sous le nom d’école de filles, un palais immense qu’on n’a pas pu terminer d’ailleurs, qu’on n’aurait jamais rempli si on l’avait terminé, mais qui témoigne, par sa masse imposante et par son aspect dévasté, de l’argent qu’est capable de jeter au hasard d’une inspiration fantaisiste un souverain dont aucun contrôle financier n’arrête les libéralités. Voulait-on élever des asiles, fonder des institutions pieuses ou charitables, entreprendre des travaux savans, le khédive était toujours prêt à disposer des revenus de l’état en faveur d’œuvres brillantes, destinées, croyait-il, à augmenter la gloire de son règne et à faire retentir son nom en Europe comme celui d’une sorte de Pierre le Grand égyptien.

Aussi, tous les familiers dm palais et presque tous les fonctionnaires européens d’Égypte, soit par intérêt, soit par goût, soit par habitude, étaient-ils partisans du régime dont la commission