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c’est lui qui avait rédigé le remarquable rapport par lequel cette commission signalait les abus du gouvernement égyptien et réclamait du khédive la restitution de propriétés acquises pour la plupart avec les deniers de l’état. A côté des ministres européens, Nubar-Pacha avait choisi pour collaborateurs Riaz-Pacha, vice-président de la commission d’enquête, et Aly-Pacha Moubarek, un fellah élevé dans les écoles du gouvernement et parvenu graduellement, grâce à une science peu commune en Égypte, aux plus hautes fonctions. Ces deux choix étaient excellens. Celui du ministre de la guerre, Ratib-Pacha, l’était moins, ainsi que l’événement l’a prouvé. Quoi qu’il en soit, le cabinet mixte offrait aux créanciers de l’Égypte des garanties très supérieures à celles que leur assurait le régime condamné des contrôleurs. Aussi les commissaires de la dette se hâtèrent-ils de donner leur approbation complète à l’organisation nouvelle. Elle fut du reste heureusement complétée par la création d’une fonction importante, le contrôle et la révision des comptes, fonction confiée au commissaire italien de la dette, M. Baravelli. Il eût mieux valu sans doute établir une véritable cour des comptes, qui serait devenue un obstacle de plus aux projets de réaction du khédive, mais les Anglais ne voulaient pas d’une pareille institution. Se croyant sûrs de l’avenir, ils jugeaient inutile de prendre des garanties contre eux-mêmes. Confiance malheureuse, quoique alors assez naturelle ! La nomination de M. Baravelli au poste « d’auditeur général des dépenses et des recettes de l’état » satisfaisait les prétentions de l’Italie dans tout ce qu’elles avaient de légitime. Le ministre des affaires étrangères de Rome, M. Depretis, le reconnaissait avec franchise ; il déclarait sans hésiter à la chambre des députés qu’il n’avait rien à réclamer de plus, « attendu que la position de M. Baravelli équivalait presque à celle d’un ministre. »

Le ministère constitué, chacun se mit à l’œuvre avec son caractère, ses idées, ses desseins particuliers. Une première question se posait. Les ministres européens devaient-ils se considérer comme des fonctionnaires de l’Égypte ou comme des représentans et des mandataires des créanciers ? Devaient-ils songer avant tout à l’intérêt immédiat de ces derniers ou travailler principalement à la régénération du pays ? Devaient-ils, en un mot, se faire Égyptiens ou rester comme des étrangers campés en Égypte pour y percevoir, par tous les moyens, un tribut légitimement dû ? Suivant la réponse qu’on ferait à cette question, il est clair que la conduite des ministres serait différente. Si l’on admettait qu’ils n’étaient établis au Caire que pour s’occuper du paiement des coupons de la dette, il fallait s’attendre à les voir s’entourer d’une administration européenne qui éliminerait complètement l’administration indigène, et