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Longfellow, que Bryant, que Lowell ; moraliste, il n’est pas aussi moraliste qu’Emerson. Il s’est fait une place à part dans la littérature américaine, ce que j’appellerais volontiers une place frontière ; il touche à tout, aux sciences, au roman, à la philosophie, à la physiologie, à la médecine. Ajoutez à des connaissances techniques très étendues une dose extraordinaire d’imagination, à une exquise délicatesse de cœur, un goût de terroir très prononcé et une sorte de réalisme tout américain, mêlez enfin ce que la poésie a de plus idéal à ce que la science a de plus net et de plus tranchant, et vous aurez les principaux élémens du génie personnel de l’auteur de tant de livres populaires aux États-Unis, l’Autocrate à déjeuner, le Professeur à déjeuner, Elsie Venner, l’Ange gardien, Courans et Contre-courans. Sous le déguisement de la fiction, Holmes a traité les plus graves questions de l’hérédité organique : Elsie Venner peut être regardé comme une analyse très profonde ; mais jusque dans le Professeur à déjeuner on ne sent jamais le professeur. Il y a dans l’esprit de l’auteur une sorte d’emportement, un fonds de raillerie inépuisable, une fantaisie charmante qui s’égare en tous sens et n’a rien absolument de dogmatique.

Le plaisir que nous éprouvons à parler du biographe (et que de choses nous aurions à en dire !) ne doit pas cependant nous faire oublier la biographie. Revenons donc à Motley et à ce memoir où l’affection d’Oliver-W. Holmes fait revivre l’auteur de l’Établissement de la république hollandaise, de l’Histoire des Provinces-Unies et de la Vie de Jean de Barneveld.


I

John Motley, le grand-père de l’historien, émigra en Amérique au commencement du siècle dernier et s’établit dans l’état de Maine. Un de ses petits-fils, Thomas Motley, fixé à Boston, épousa Anna Lothrop, fille et petite-fille de ministres protestans. Parmi les ascendans de Motley, on trouverait un Lothrop qui avait été emprisonné en Angleterre pour « non-conformité. » Toutes les passions, tous les instincts de la Nouvelle-Angleterre devaient entrer dans son sang. Il naquit à Dorchester, qui est aujourd’hui un faubourg de Boston, le 15 avril 1814. On se souvient encore aujourd’hui à Boston que le père et la mère de Motley avaient dans leur jeunesse la réputation du plus beau couple qui se pût voir. Il n’est pas étonnant si cette beauté se transmit au jeune Motley. Tous ceux qui ont connu Motley me comprendront si je dis qu’il était véritablement beau : il est rare que notre sexe soit bien sensible à la beauté masculine, mais on ne pouvait voir sans en être saisi cette figure aux traits nobles, ces yeux où brillaient la flamme de l’intelligence et l’ardeur du