Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/954

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans doute, mais c’est aussi, c’est surtout peut-être le fondateur de la république, et c’est là justement un des dangers de ces fêtes, de prendre le caractère d’une œuvre de parti, de devenir le prétexte de manifestations de parti. Après tout, M. Thiers a été l’homme du pays, il n’a pas été l’homme d’un parti, et il s’agit de savoir si on prétend simplement se parer d’une grande mémoire, se servir de la popularité d’un grand nom ou si on reconnaît l’autorité des enseignemens et des exemples dont le libérateur du territoire a légué l’héritage. Oui assurément, après une longue carrière consacrée aux idées et aux principes de la monarchie constitutionnelle, après les échecs de toutes les tentatives, au milieu des divisions multipliées et aggravées par les révolutions successives, M. Thiers en est arrivé à voir dans la république le seul régime possible. Il l’a pensé, et, avec le courage d’esprit qui ne lui manquait jamais, il l’a dit résolument, sans hésitation. Il a mieux fait, il a mis tout son art, sa prudence, son habileté à préparer les institutions qui seules désormais lui paraissaient adaptées à la situation morale et politique de la France. Il a le premier mis la main à l’organisation constitutionnelle qui a fini par prévaloir, et sous ce rapport on a bien raison de saluer en lui le fondateur de la république nouvelle ; mais en même temps il n’a cessé de répéter, il a dit sous toutes les formes à quelles conditions cette république était possible. Il a assigné en quelque sorte au régime nouveau son programme nécessaire de prudence et de modération. M. le ministre de l’intérieur lui-même, dans son discours de Nancy, a pris le soin de rappeler le programme de M. Thiers. « C’est lui, a-t-il dit, qui nous a enseigné le prix de la patience et de la modération en disant que la France ne se donnerait qu’au plus sage… c’est lui qui, par son bon sens, son courage intellectuel, son initiative hardie, a fait de la république le symbole de force, de liberté, d’union dans la paix, qui doit rallier tous les Français. » Cette république conservatrice, respectueuse de toutes les libertés, protectrice de tous les intérêts légitimes, c’est celle de M. Thiers, et M. le ministre de l’intérieur n’a point hésité à déclarer que c’était aussi celle du gouvernement. Il n’est pas moins vrai que de jour en jour, dans les chambres et hors des chambres, on s’éloigne singulièrement de cet idéal qui commence à devenir légendaire, et qu’en saluant pour la forme l’image de M. Thiers, on met sous sa protection d’étranges entreprises, des idées politiques, des procédés de gouvernement que ce grand et lumineux esprit eût désavoués avec vivacité.

Si l’on veut mesurer le chemin qu’ont fait certains républicains, on n’a qu’à observer les manifestations qui se sont produites à l’inauguration de la statue de Nancy, et l’accueil qu’a reçu M. Jules Simon lui-même, un ancien ministre du premier président de la république, un homme qui ne peut être suspect, que nous sachions, pour la fidélité de