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question politique ; d’où il lui était facile de conclure que, s’il parvenait à faire croire qu’il paierait les coupons de la dette, on lui permettrait de secouer la tutelle dont le poids commençait à lui paraître bien lourd. Ce n’était pas tout : on lui indiquait en quelque sorte des alliés pour sa nouvelle campagne ; on poussait les consuls à faire cause commune avec lui, à confondre leurs intérêts particuliers avec les siens. Le khédive avait espéré d’abord diviser la France et l’Angleterre et profiter de ce désaccord pour couper à la racine les projets de réformes européennes. L’union parfaite des ministres anglais et français avait déjoué ce calcul. Ne pouvant séparer les deux gouvernemens, pourquoi ne tenterait-il pas de passer entre leurs représentans, de brouiller les ministres avec les consuls, de persuader à ces derniers que le régime despotique était plus favorable que tout autre à leur influence et à leur autorité? Cette dernière manœuvre était trop habile pour ne pas réussir. La réponse du khédive aux plaintes financières des puissances mettait les consuls dans la plus fausse des situations. Pour exécuter les ordres de leurs gouvernemens, il fallait qu’ils agissent comme si les ministres n’existaient pas ; mais en agissant comme si les ministres n’existaient pas, ils leur portaient en réalité un coup mortel. La France et l’Angleterre n’avaient pas une idée très nette du rôle respectif qui devait être assigné à leurs ministres et à leurs consuls, puisqu’elles les lançaient en quelque sorte les uns contre les autres. Il n’était pourtant point difficile de comprendre qu’on ne pouvait pas à la fois gouverner l’Egypte et prendre envers son gouvernement les précautions que comporte le régime consulaire. Les garanties que les puissances retiraient du pouvoir des consuls, la nomination des ministres européens les remplaçait outre mesure. On se serait expliqué cependant que les consuls des autres pays fussent d’un avis différent ; ils pouvaient se dire avec quelque apparence de raison qu’en cherchant à sauver leur autorité personnelle, ils sauvaient également celle des gouvernemens qu’ils représentaient. Mais, tandis que ces consuls-là s’abstenaient de s’ingérer dans les affaires égyptiennes et devenaient de simples diplomates, n’était-il pis étrange de voir ceux des deux nations qui dirigeaient l’administration du pays protester auprès du khédive contre les projets de cette administration, comme si la France et l’Angleterre avaient pris à tâche de démolir d’une main ce qu’elles avaient élevé de l’autre?

Ce qui rendait cette conduite inexcusable, c’est que le règlement de la question financière était entouré des plus grandes garanties d’impartialité et de justice. Les ministres anglais et français n’avaient pas voulu prendre sur eux de décider si l’Egypte pouvait faire « strictement face à tous ses engagemens. » A peine arrivés