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condition d’employer encore une fois les procédés au moyen desquels elle avait, les années précédentes, fait face aux échéances de sa dette. Ces moyens, tout le monde les connaît. L’Égypte n’a pas d’époque régulière pour la perception des impôts; rien n’empêche donc le khédive de percevoir au commencement de l’année les contributions de l’année entière, voire celles de l’année suivante. Le fellah sans doute n’a pas d’argent, mais il a sa moisson ; à défaut de sa moisson, il a sa terre. Agissant comme un père de famille, le gouvernement se charge de lui procurer de l’argent en aliénant pour lui, sans qu’il lui soit permis de discuter les termes du contrat, cette moisson et cette terre à des banquiers et à des usuriers européens. La commission d’enquête avait flétri ces opérations dans lesquelles le malheureux fellah est exploité d’une manière odieuse. C’est à 40 ou 50 pour 100 qu’on lui avance les sommes nécessaires au paiement des impôts, en sorte qu’il ne lui reste rien ou presque rien de sa moisson lorsque la perception a été faite, et qu’il est obligé souvent de céder pour quelques piastres une terre qui vaut en réalité plusieurs livres. Tous les hommes impartiaux ont signalé d’ailleurs les dangers d’un système qui fera passer en quelques années, si l’on n’y prend garde, la plus grande partie du sol égyptien entre les mains d’Européens refusant de payer l’impôt. Mais le khédive raisonnait comme les grands établissemens financiers de Paris : il ne se préoccupait que d’obtenir une hausse factice, laissant à l’avenir le soin de débrouiller les difficultés de l’avenir. Il n’en était pas de même des ministres européens qui, venus en Égypte pour réaliser des réformes durables, ne voulaient pas remporter un succès d’un jour bientôt suivi d’une série ininterrompue de désastres.

Dans la campagne nouvelle qu’il allait entreprendre, le khédive ne devait pas avoir pour uniques alliés les grands établissemens financiers détenteurs de titres de la dette consolidée ; les créanciers flottans allaient lui prêter aussi leur concours. Ce serait une trop longue étude que d’analyser et en quelque sorte de décomposer cette masse compacte de créanciers flottans qui s’agitaient à Alexandrie et au Caire avec une vivacité chaque jour plus grande. Ce que j’ai déjà dit des colonies européennes suffit d’ailleurs à faire comprendre quels intérêts divers l’inspiraient. Chose étrange! le ministère européen était parvenu à arracher au. khédive une partie considérable de ses propriétés dont il s’était servi pour contracter un emprunt destiné à payer la dette flottante. Il semble donc qu’il aurait mérité de jouir d’une immense popularité auprès des créanciers flottans et que ceux-ci auraient dû tout faire pour l’aider à mener à bonne fin la liquidation financière. Ils n’ont rien épargné