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au contraire pour entraver cette liquidation. En grevant d’hypothèques les propriétés cédées à la maison Rothschild, ils ont rendu impossible le versement de l’emprunt, en sorte que le ministère, qui avait reçu une caisse vide à son arrivée aux affaires, et qui ne voulait pas ruiner le pays par des anticipations d’impôts, s’est trouvé condamné dès le premier jour à la plus irrémédiable impuissance. Mais ce n’est pas tout. Par leur refus obstiné de faire aucune concession à la nécessité, les créanciers flottans ont sans cesse aggravé le mal dont ils étaient les auteurs volontaires. Ils exigeaient qu’on les payât intégralement, et ils bouchaient avec soin toutes les sources d’où quelque argent pouvait couler dans le trésor public! Comment expliquer cette conduite si étrange en apparence? Rien de plus simple. La majorité des créanciers flottans aurait accepté de grand cœur les propositions du ministère, mais elle était malheureusement conduite par des hommes d’affaires, des avocats, des banquiers, qui, traitant en son nom, poursuivaient un tout autre but que le sien. Pour ces derniers, l’important était de faire échouer les réformes qui allaient mettre un terme à leurs spéculations. On leur offrait sans doute des œufs d’or inespérés, mais en tuant la poule : ils préféraient conserver la poule et se priver provisoirement des œufs d’or.

Doué d’un génie tout particulier pour l’intrigue, Ismaïl-Pacha avait compris sans peine le parti à tirer de cet état d’esprit des diverses catégories de créanciers. Quelques jours après la réorganisation du ministère, M. Wilson lui avait confié l’esquisse d’un arrangement de la situation financière qu’il venait de remettre également à la commission internationale d’enquête, afin que celle-ci s’en servît pour rédiger un projet définitif. Sans attendre ce projet, qui seul devait avoir une réelle autorité, le khédive s’empressa de convoquer ses conseillers intimes et de les charger de rédiger un contre-projet pour lequel il espérait l’adhésion de tous ceux que les intentions connues du ministère avaient déjà ameutés contre le régime européen. Il oubliait qu’il n’avait pas le droit de donner à son contre-projet le caractère d’une loi et que tout le travail qu’il allait faire serait légalement vain. De pareils scrupules n’étaient point faits d’ailleurs pour l’arrêter. On va voir par quel moyen il chercha à éluder les difficultés de sa tâche.

Quelques-uns des conseillers les plus intimes du khédive professaient une grande admiration pour Midhat-Pacha et pour la manière hardie dont il a opposé toutes les grandes forces nationales de la Turquie aux représentans de l’Europe réunis à la conférence de Constantinople. Sans tenir compte des conséquences désastreuses que cette politique a eues en définitive pour l’empire ottoman, ils