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lui-même le Midhat de l’Egypte, Ismaïl-Pacha se préparait à jouer la comédie d’un souverain constitutionnel donnant la liberté à son peuple et obéissant ensuite à ses injonctions. C’est dans ce dessein qu’il faisait appel à toutes les inspirations inconscientes vers la liberté dont est travaillée une partie de la nation égyptienne. On ne rencontrerait certainement pas dans toute l’Egypte un homme sachant mieux que le député du Caire ce que c’est que la liberté et que le régime parlementaire; mais on y trouverait sans peine des gens qui se croient révolutionnaires, des membres de sociétés secrètes, des francs-maçons, des conspirateurs politiques s’agitant beaucoup dans l’ombre quoique n’osant jamais se montrer au soleil. Tous ces prétendus libéraux sont dans la main du khédive. « Il y a ici, me disait un consul français qui connaît merveilleusement l’Orient, des millions de partis : il y a des libéraux enragés, des réactionnaires violens et des radicaux passionnés; mais tous ces partis, depuis les chevau-légers jusqu’à l’extrême gauche, obéissent à la même impulsion : celle du khédive, ont le même chef: le khédive ! » Telle est la vérité. Sans doute un certain nombre de naïfs se sont laissé prendre aux promesses d’Ismaïl-Pacha annonçant qu’il allait donner une constitution à l’Egypte, en échange de l’administration européenne. Peut-être Chériff-Pacha lui-même était-il sincère lorsqu’il disait publiquement : « Si le despotisme du vice-roi devait durer, je refuserais de m’associer à la campagne contre le cabinet anglo-français. » Il exprimait pourtant mieux sa pensée intime en déclarant au consul général autrichien « qu’après tout l’Egypte avait été conquise par les Turcs, et que les Turcs ne pouvaient se laisser arracher le droit de l’exploiter. » C’étaient des exploiteurs, non des libéraux ou des patriotes qui ne voulaient plus du régime européen.

Quoi qu’il en soit, en même temps que le vice-roi faisait préparer un plan financier, il organisait une vaste campagne politique contre son ministère. De grandes réunions avaient lieu chez un ancien ministre des finances, Grec d’origine, Ragheb-Pacha, réunions à demi religieuses, à demi financières dans lesquelles se tramait la conspiration qui devait amener la chute des ministres anglo-français. Ces premières réunions laissèrent éclater les véritables sentimens de ceux qui y prenaient part. Deux raisons principales avaient provoqué la révolte des officiers, instrumens dociles d’une volonté supérieure : premièrement l’annonce d’un cadastre qui aurait permis soit de découvrir les propriétés conservées par le khédive après la cession soi-disant complète de ses biens, soit de constater que les terres des pachas ne supportaient pas tous les impôts qu’elles auraient dû supporter; secondement la prise de possession définitive du pouvoir par des administrateurs européens,