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d’enquête avait essayé d’organiser; aussi cette commission s’est-elle empressée de confondre sa cause avec celle des ministres et de donner, à l’unanimité, sa démission. Tout semblait crouler à la fois en Égypte; le khédive trouvait devant lui un champ d’expériences absolument libre. Néanmoins personne ne mettait en doute que ce succès, si grand en apparence, ne fût bientôt suivi d’une revanche éclatante. Comment supposer, en effet, que les deux puissances qui venaient d’adresser à Ismaïl-Pacha la note comminatoire que j’ai en partie citée acceptassent sans mot dire l’affront qui leur était fait? Dans l’entourage du vice-roi, la terreur était profonde; chaque dépêche venue d’Europe, de Paris, de Londres ou de Constantinople l’aggravait encore. Dès que la nouvelle du coup d’état égyptien lui était parvenue, la Porte ottomane avait offert aux gouvernemens anglais et français de destituer Ismaïl-Pacha et de le remplacer par le prince Halim, le dernier des fils de Mehemet-Ali. On le savait au Caire, et il est certain que, si les puissances avaient accepté les propositions du sultan, le khédive serait tombé comme une feuille morte que le plus léger souffle emporte: aucun des hommes qui venaient de suivre ou de diriger le prétendu mouvement national et religieux n’aurait essayé de le défendre; tous l’auraient abandonné sans honte et sans remords, avec cette souplesse orientale sur laquelle la force, d’où qu’elle vienne, a toujours une prise absolue. Dès le lendemain de la chute du ministère européen, on voyait chez les nouveaux ministres et chez les familiers du palais une évidente disposition à renier leur folle entreprise. Mais le khédive avait eu un sentiment juste, bien qu’étroit, de la vérité lorsqu’il avait compté sur l’inaction de la France et de l’Angleterre. Cette dernière était tellement occupée de la guerre de l’Afghanistan, de la guerre des Zoulous, de l’état dangereux de la Birmanie, des progrès des Russes en Roumélie, etc., qu’il lui restait bien peu de temps pour s’occuper de l’Égypte. Ébranlé par une longue série de déceptions, le ministère Beaconsfield avait perdu cette audace généreuse qu’on lui avait vue quelques mois auparavant et qu’il devait retrouver quelques mois plus tard. Autant il était hardi, entreprenant, prêt à toutes les initiatives après la prise de Chypre, autant il était, après ses échecs passagers dans le Natal, timide et circonspect. L’opinion publique le poussait vivement dans la nouvelle voie où il était entré. Un spirituel dessin du Punch exprimait, avec autant de justesse que d’originalité, l’état d’esprit de l’Angleterre. Ce dessin représentait les ministres anglais attablés devant un bon nombre de «pâtés chauds » (hot pies) portant les différens noms de Turquie, Afghanistan, Natal, Chypre, etc. Mais à un marmiton diplomatique qui accourait