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rivages verdoyans et à leurs forêts de hêtres immenses, comme les Suisses à leurs montagnes. Thorvaldsen devait aussi obéir à cet amour du sol natal, qui se réveilla un jour en lui au milieu de sa vie sereine et heureuse : ce fut là le vrai motif qui lui fit quitter Rome et non de prétendues tracasseries populaires, ni le départ de quelques amis, ni même le choléra de 1837. Rappelé en Danemark par les plus pressantes sollicitations, il ne se décida à partir que deux ans après, en 1839, Une frégate de la marine royale danoise fut exprès envoyée à Livourne pour le prendre, lui et toutes ses caisses de marbres, de plâtres et d’objets d’art destinés à sa ville natale.

Aucun épisode de sa vie n’est connu comme celui de l’incomparable réception qu’on lui fit alors à Copenhague. C’est qu’en effet l’histoire des temps modernes ne présente rien de pareil, et que cette ovation sans exemple donne bien la mesure de ce qu’était Thorvaldsen pour les peuples du Nord, un peu plus qu’un homme. Il faut lire, dans le livre de M. Plon, le récit très pittoresque, très saisissant de cette marche triomphale de la frégate, escortée sur le Sund, depuis Elseneur jusqu’à Copenhague, de bateaux danois et suédois où retentissent des chœurs et des fanfares. Tantôt un brouillard l’arrête, tantôt le ciel s’illumine au-dessus d’elle d’une splendide aurore boréale, symbole de la gloire du maître. Cependant toute la population de Copenhague, impatiente, inquiète, se presse sur les quais du port et dans les rues voisines, attendant en vain pendant une longue journée de pluie. Le lendemain le ciel s’éclaircit, on signale la frégate, un drapeau hissé sur le plus haut clocher avertit toute la ville, qui se précipite avec une rumeur de joie vers le port et la rade. Au moment où la frégate s’avance entre les îlots couronnés le batteries et le rideau vert du Langeline, une flotte d’embarcations se détache des quais et vogue à sa rencontre, chacune portant un corps de métier de la ville et sa bannière. L’une d’elles, décorée à la grecque, porte à bord l’académie des beaux-arts, chargée de complimenter le maître, et de tous les autres canots, déployés en cercle autour du vaisseau, s’élève un chœur immense chantant un hymne composé par le poète Hisberg. Ainsi escorté Thorvaldsen descend à terre au milieu de hourrahs frénétiques. Il monte en calèche pour se rendre au palais de Charlottenborg, mais le peuple dételle ses chevaux et traîne sa voiture. A peine est-il au palais que la foule qui encombre la vaste place de Kongens Nytorv demande à le voir, et il faut que l’artiste, très étonné d’ailleurs et nullement préparé à de tels éclats, paraisse au balcon pour saluer ses compatriotes. On dirait le retour d’un souverain ou d’un grand général après une glorieuse campagne, et les récits