Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

culte de l’art antique. Lorsqu’il arriva pour la première fois à Rome, en 1797, cette révolution, commencée cinquante ans auparavant en France par le comte de Caylus, propagée bientôt en Italie et en Allemagne par le savoir et l’éloquence de Winckelmann, était déjà un fait accompli. Partout, selon le mot fameux de Louis David, on avait écrasé la queue du Bernin. En France, ce même David, le plus rude combattant de la lutte, Gérard, Chaudet, tenaient la tête des écoles. L’antique régnait en souverain et depuis longtemps sur la peinture, la statuaire, l’architecture, les arts décoratifs, aussi bien que sur les lettres, et la révolution, comme on sait, avait poussé cette mode jusqu’au fanatisme et au ridicule. Vers le même temps, Flaxman, avec toute la puissance du génie, imposait le goût nouveau à L’Angleterre. Mais c’est en Italie surtout que la ferveur de l’antique embrasait à la fois savans, artistes et amateurs, comme aux beaux jours des Médicis. A son école de Copenhague, Thorvaldsen n’avait pu entrevoir qu’un reflet incertain de cette rénovation; mais, en arrivant à Rome, il trouva tous les faux dieux renversés et Canova installé à leur place. Ce fut donc l’entraînement irrésistible de l’opinion, aussi bien que son propre goût, qui le jeta dans l’étude exclusive de l’antique, et l’on ne saurait s’étonner qu’il n’ait pas pris garde à la première renaissance. Aux yeux de tous alors, les maîtres du XVe et du XVIe siècle disparaissaient derrière ces descendans bâtards qui avaient si tristement dénaturé leurs leçons. Tous les modernes semblaient compris dans la même proscription : il n’y avait pas d’autre loi, pas d’autres guides possibles que l’antiquité et ses nouveaux interprètes.

Cependant Thorvaldsen, en se livrant avec plus de ferveur qu’aucun autre à ce courant universel, montra tout de suite l’indépendance et la vigueur de son esprit. Au lieu de s’attacher, comme il semblait naturel, à quelqu’un des réformateurs, à Canova, par exemple, il prit le parti de chercher lui-même son chemin. Un instinct l’avertissait que, parmi ces maîtres en vogue, plusieurs l’auraient égaré, aucun ne l’eût mené assez loin. Il s’en fallait de beaucoup en effet que cet engouement pour tout ce qui venait de la Grèce et de Rome fût l’intelligence même de l’antique, et que chez les meilleurs artistes d’alors on retrouvât le caractère et la véritable beauté des modèles qu’ils étaient censés reproduire. On n’improvise pas une révolution radicale dans les arts, pas plus que dans la société. On ne passe point sans transition, sans tâtonnemens, de l’école du Bernin à celle de Phidias, de l’absurde au sublime. Tout disciples qu’ils se croyaient de la simplicité grecque, ces rénovateurs sacrifiaient par quelque côté à l’esprit de leur temps, qui n’était rien moins que simple, David par l’emphase, la déclamation, l’effet théâtral, Flaxman par sa raideur toute britannique,