Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en sortant de la mer, et dont il y a deux jolis exemplaires au Vatican, est un gracieux motif, plus chaste peut-être, mais d’un ordre aussi terrestre. Deux autres images de la déesse, également connus, la Vénus accroupie et la Vénus Callipyge, ne sont à vrai dire que d’aimables Phrynés, qui se soucient peu de parler à l’âme. Je ne mentionne pas notre sublime Vénus de Milo, déesse du ciel et non de la terre : ce marbre divin était encore inconnu. Peut-être eût-il découragé Thorvaldsen, peut-être aussi lui eût-il inspiré une autre Vénus céleste. Il sut trouver cependant, en dehors de toutes les images léguées par l’antiquité, une Vénus très noble, grecque et moderne à la fois, c’est-à-dire à tous les temps, en choisissant dans les légendes de la déesse celle qui a le sens le plus humain et le plus général, la victoire du mont Ida. Cette interprétation si caractéristique du type de Vénus avait-elle échappé aux sculpteurs grecs? Ce n’est guère probable; mais il ne nous en leste aucun témoignage. Le Danois a pris la place demeurée vide, et jamais une idée mythologique ne fut mieux traduite par un artiste moderne. Debout et sans voile, la déesse tient encore de la main droite la pomme symbolique qu’elle contemple avec ravissement, tandis qu’elle se penche un peu pour reprendre de l’autre main ses vêtemens déposés sur un tronc d’arbre voisin. L’instant est choisi avec beaucoup d’esprit, d’abord pour avoir le prétexte de la nudité, et puis pour représenter en même temps la joie naïve d’une vanité triomphante et la pudeur qui réclame aussitôt ses droits, c’est-à-dire les sentimens les plus féminins; ils respirent tous les deux dans l’attitude, dans le mouvement et sur le visage de la jeune déesse.

Elle est jeune en effet, et c’est le premier trait qui charme dans cette création. Avec un art consommé et une longue étude (il a, dit-on, employé plus de trente modèles), le statuaire a représenté l’épanouissement de la femme et rien de plus, la femme à dix-huit ans en Grèce ou en Italie. C’est le même caractère que la Vénus de Médicis, sauf que celle-ci est d’une taille plus élancée. Thorvaldsen, à tort ou à raison, a préféré les proportions de la Vénus du Capitole, qui est plus courte, en atténuant beaucoup la gorge et toutes les parties de ce corps robuste aux savantes ondulations. Sa Vénus est de la même famille, plus jeune et plus délicate seulement. Elle rappelle assez bien la belle Vénus du musée de Syracuse, que Thorvaldsen ne connaissait pas. C’est une Romaine autant qu’une Grecque, surtout par la tête, qui n’a pas le profil d’Ionie : où donc l’artiste aurait-il pu le trouver? Mais il a vu à Rome cette tête sérieuse et pure, presque virginale, avec ses traits un peu accentués et son élégante silhouette. Il ne l’a pas vue dans son atelier, car elle n’est point d’un modèle, mais plutôt parmi les jeunes personnes de la