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résidences forcées dans les provinces frontières de l’Asie. De huit mille environ, vers le milieu du règne de Nicolas, le nombre total des déportés s’est élevé annuellement sous Alexandre II à seize mille, à dix-huit ou dix-neuf mille et, en y comprenant les pays autres que la Sibérie, à plus de vingt mille[1]. Depuis le commencement du siècle, la levée annuelle de la déportation aurait septuplé.

Sur ces dix-huit ou vingt mille déportés, quelle est la part de l’arbitraire administratif? D’après les documens publiés par les journaux officiels ou officieux[2], cette proportion jusqu’à l’année 1878 était très faible, à peine un sur cent, ou même un sur cinq cents. En huit années, de 1870 à 1878 exclusivement, le total des personnes transférées en Sibérie par mesure administrative n’aurait pas monté à seize cents (1,599). Encore le plus grand nombre, soit 1,328, étaient-ils des montagnards du Caucase, exilés au-delà de l’Oural en vertu de lois ou de raisons spéciales, en sorte que, dans toute la Russie d’Europe, il n’y aurait eu en sept ans que 271 individus, russes ou polonais, déportés par la haute police, soit en moyenne trente-huit par année. En vérité, l’institution admise, la IIIe section ne pouvait guère user de ses pouvoirs avec plus de modération. Il est vrai qu’à ces déportés en Sibérie il faut ajouter un nombre peut-être supérieur d’internés de toute sorte dans les provinces extrêmes de la Russie d’Europe[3].

Outre les bannis par voie administrative, il y a en Sibérie une classe de colons forcés beaucoup plus considérable, que l’on confond souvent à tort avec les premiers ; ce sont les déportés par sentence des communes ou des corporations de bourgeois, également investies du droit d’exclure de leur sein les membres vicieux ou dangereux[4]. Les communes de paysans usent encore largement de cette espèce d’ostracisme, car pour les sept années antérieures à 1878, le total des transportés de cette catégorie s’élevait à plus de trente-six mille, soit en moyenne de plus de cinq mille par an, et ces trente-six mille exilés du village natal avaient été accompagnés par plus de vingt-sept mille personnes de leur famille.

  1. En 1875 par exemple, le contingent de la déportation sibérienne a monté à 19,183 individus. La durée moyenne de la déportation semble avoir diminué, car le nombre total des déportés ne paraît pas beaucoup plus considérable que vers le milieu du règne de Nicolas.
  2. Je citerai particulièrement le Journal de Saint-Pétersbourg (mai 1879).
  3. Le nombre des victimes de la IIIe section est naturellement fort variable : ains en 1875, le chiffre des déportés par voie administrative s’était élevé à soixante-neuf soit au double de la moyenne annuelle; en 1870, il aura probablement plusieurs fois décuplé.
  4. Voyez la Revue du 15 mai 1877.