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toujours également beaux. Ils sont arrangés, plissés, combinés avec un soin prodigieux, sans aucune affectation cependant et en gardant toujours une parfaite exactitude. Mais le plus admirable, c’est qu’ils cachent toujours une idée et une intention nécessaires sous l’enchantement qu’ils donnent aux regards. Personne, on peut le dire, depuis les anciens, n’a poussé aussi loin que Thorvaldsen l’art d’animer le vêtement, de l’approprier aux caractères et de le mêler à l’interprétation des personnages. C’était là, comme on sait, un des secrets les plus mystérieux et les plus puissans de la statuaire grecque. Thorvaldsen a mis longtemps à le deviner; ses premières statues de femmes en sont la preuve. Mais un beau jour il en sut presque autant que les Grecs dans l’art de draper. S’il n’a jamais essayé de reproduire ces hardis effets de linges mouillés, ces voiles transparens qu’on voit frissonner sur certains marbres de Paros, ni ces vêtemens soulevés en larges ondulations, merveilles du ciseau grec que l’on a retrouvées à Athènes, et dont les exemplaires, tous plus ou moins mutilés, sont extrêmement rares à Rome, du moins il a toujours su prendre dans les divers styles de draperies des anciens, ce qui convenait à ses créations, et il l’a fait avec un discernement, un bonheur et un art consommés. Dans la statue de la princesse Bariatinsky par exemple, les longs plis droits, pressés, profondément fouillés de la robe et du manteau, variés çà et là de quelques cassures légères et de quelques sinuosités raccourcies, sont propres à accompagner le caractère de méditation et de rêverie du personnage, avec la grâce nécessaire à une femme. Cette même idée de méditation, de réflexion philosophique, est traduite aussi dans la statue de Copernic, mais avec une nuance plus grave, par les plis sobres et perpendiculaires de la robe tombant tout autour de l’astronome assis, et par les grandes courbes tranquilles et harmonieuses que dessine cette robe entre les deux genoux. On peut faire des observations analogues sur toutes les figures vêtues de Thorvaldsen. Les grands sculpteurs du XVIe siècle n’ont pas pris le même souci, sans doute parce qu’ils n’avaient pas sous les yeux dans la vie ordinaire, comme les anciens, les effets naturels du vêtement drapé. Pour Michel-Ange et ses contemporains, la draperie n’est qu’un ornement livré au caprice de l’artiste, et c’est là une des différences profondes de leur style et de celui des anciens. Ils ne cherchent dans le vêtement ni le naturel, ni surtout une intention philosophique[1]; ils ne songent pas à accompagner et à compléter par les ondulations et les plis

  1. Je ne dirais pas cela toutefois des premiers sculpteurs florentins, Benedetto da Majano, Mino da Fiesole, Luca della Robbia, et encore moins de certaines œuvres charmantes du moyen âge, où l’instinct le plus juste a conduit de naïfs et pieux artistes au même résultat que l’esthétique raffinée des Grecs.