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reconnaître la beauté, et il semble difficile que ce portique, si différent de la lourde basilique romaine, fût compris dans son plan primitif.

Quoi qu’il en soit de cette conjecture, il est certain que la composition en ronde bosse qui orne le fronton du portique n’a pu être imaginée que par l’artiste lui-même. L’architecte de Notre-Dame et les édiles de Copenhague lui demandèrent spécialement pour l’intérieur de l’église les statues du Christ et des Douze Apôtres, laissant à son choix le sujet et l’ordonnance des bas-reliefs qui devaient orner l’abside et le portique. Or le travail déterminé qu’on lui imposait était justement celui qui l’agréait le moins. Thorvaldsen en usa alors avec ses compatriotes comme il fit plus tard avec les grands personnages d’Allemagne ou de Rome. N’osant rien refuser à des concitoyens qui l’accablaient d’honneurs et de caresses, il accepta toute leur commande et se réserva de n’en exécuter lui-même que la partie qui l’intéressait le plus. Ajoutons cependant qu’il employa tout son crédit, mais en vain, pour qu’on laissât la commande des Apôtres à son ami Freund, qui en avait d’abord été chargé, et qu’il obtint pour lui un dédommagement dans un autre travail entrepris par la ville.

Les Apôtres devaient être rangés symétriquement sur les deux côtés de la grande nef de Notre-Dame, devant chaque pied-droit, comme ceux de la basilique de Saint-Jean-de-Latran. Or ces douze figures de personnages à peu près semblables entre eux dans leur caractère essentiel, qu’il fallait représenter debout et sous les mêmes proportions, pour les disposer sur deux files uniformes et monotones, n’avaient guère de quoi tenter l’imagination du grand statuaire. Tout au plus un artiste croyant et pieux du XVe siècle se serait-il dévoué à cette tâche ingrate et austère, mais pouvait-on espérer tant d’abnégation d’un esprit aussi actif que celui de Thorvaldsen, d’une fantaisie aussi mobile, aussi prompte à poursuivre dans les voies les plus diverses son idéal de beauté ? Le maître se déchargea sans hésiter des Apôtres sur ses élèves, bornant son intervention à leur fournir le dessin et la maquette de chaque figure et à diriger leur travail. C’est avec les Apôtres de Notre-Dame qu’il a pris pour la première fois cette liberté et qu’il a commencé d’imiter les façons de Raphaël au milieu de ses élèves.

Il est vrai que pour modeler ces esquisses d’Apôtres, Thorvaldsen s’est consciencieusement inspiré des livres saints, des histoires et légendes ecclésiastiques et aussi des œuvres de la renaissance. On reconnaît bien vite les têtes traditionnelles de saint Pierre et de saint Paul[1], et, dans quelques autres, des réminiscences de

  1. Le saint Paul est le seul apôtre modelé de la main même de Thorvaldsen.