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admirablement belle est assise sur une pierre, tenant entre ses genoux son enfant nu, beau et charmant comme ceux de Raphaël. Le dernier personnage est un pâtre à demi couché qui détourne la tête vers le Précurseur et n’écoute qu’à moitié; il semble habitué à une scène qui se passe tous les jours près de lui. Voilà tout le tableau. L’artiste, qui l’a étudié et préparé avec le plus grand soin, a laissé des variantes de plusieurs figures et en avait même modelé deux autres, un Juif assis et un soldat romain appuyé contre un rocher, qu’il a sacrifiées faute d’espace. Les plâtres de ces deux figures sont au musée; le soldat est particulièrement regrettable pour la beauté de l’attitude et la grandeur du style. Mais on ne comprend guère qu’il se trouvât parmi les auditeurs de saint Jean au bord du Jourdain.

Avant d’examiner le mérite particulier de ces personnages, regardons un peu l’ensemble. J’ai déjà parlé de la convenance du sujet; il me semble aussi bien à sa place que tout autre que l’artiste aurait pu choisir dans l’Ancien ou le Nouveau-Testament, et tous ne se seraient pas également bien prêtés à un cadre aussi conventionnel. Ce qui a peut-être déterminé le choix de Thorvaldsen, c’est qu’il ne trouvait rien de plus neuf à traiter dans les récits évangéliques. Amené, bon gré, mal gré, en abordant la sculpture religieuse, à se rapprocher dans son style des artistes de la renaissance, du moins ne voulait-il copier personne, ni traduire en marbre les travaux d’autrui. On sait avec quelle abondance et quelle inépuisable variété les peintres italiens, flamands et espagnols ont traité toutes les scènes, tous les épisodes de l’Évangile. La prédication de saint Jean-Baptiste dans le désert n’a guère tenté que des peintres d’une époque avancée, vénitiens ou bolonais, qui trouvaient là un prétexte à paysages. Je doute même que Thorvaldsen ait pu connaître ces toiles plus ou moins estimables, qui sont depuis longtemps hors de l’Italie et n’ont d’ailleurs aucune parenté avec ses conceptions toutes philosophiques. Chez les maîtres toscans, romains ou lombards, rien ne lui dispute la propriété de son idée et encore moins celle de son interprétation. Nous retrouvons ici l’application de la même méthode : un sujet pris par son côté le plus simple, mais le mieux raisonné et le plus juste. Aucune recherche de l’effet, rien qui surprenne au premier coup d’œil : seulement plus on regarde, plus on est satisfait et l’on se dit tout naturellement en regardant cette scène : cela devait se passer ainsi. Les gens qui veulent à tout prix de l’extraordinaire s’écrieront que ce sont là des idées ou des formules connues et qu’il n’y a pas de quoi crier miracle. Mais si cela est vrai, si cela est beau, que voulez-vous de plus? Thorvaldsen ne se proposait pas d’étourdir ses spectateurs, content de les faire penser en charmant leurs regards. C’est assez, et je le tiens quitte du reste.