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plus savamment composé ni ne remplit mieux les conditions du genre.

Que l’on examine maintenant chacun de ces personnages et l’on retrouvera la même recherche et le même sentiment de toutes les convenances du sujet. Les fragmens du Parthénon nous montrent la perfection de travail que les Grecs donnaient même aux statues destinées à des frontons ; Thorvaldsen n’a pas manqué de suivre cet exemple. Le dessin et le modelé de toutes les figures du Sermon sont aussi étudiés, aussi soignés que dans ses meilleurs ouvrages. Ces belles statues ne perdent rien à être regardées de près, dans les moulages qui sont au musée ; mais on les apprécie beaucoup mieux en les voyant de loin, dans le tympan qu’elles remplissent. C’est pour cet emplacement que leur effet est calculé. Le saint Jean par exemple ne saurait être détaché de son groupe pour devenir une figure isolée, bien qu’il soit peut-être la meilleure statue religieuse qu’ait exécutée Thorvaldsen. Qu’on ne lui reproche pas de rappeler un type connu : il était impossible de donner à ce personnage un caractère très nouveau. Pas un saint n’a été reproduit plus souvent que le Précurseur par les maîtres de la renaissance, et Thorvaldsen a sagement fait, à tous les points de vue, d’adopter les détails d’une figuration traditionnelle. Le geste de la main droite ouverte et montrant le ciel, dans la main gauche le long roseau terminé par une croix, la courte tunique demi-ouverte, en poil de chameau, la coquille suspendue au côté pour puiser l’eau du baptême, tout cela nous est familier. Mais ce qui appartient à notre artiste, ce que personne avant lui n’a rendu avec autant de bonheur, avec la même vérité idéale, c’est la tête du Précurseur. Le saint Jean de Donatello, seule statue de maître exécutée jusque-là sur ce personnage, n’est qu’un jeune et charmant Florentin du XVe siècle, un compagnon travesti de Julien de Médicis. Raphaël a mis dans un désert, sous le nom de saint Jean, un garçon d’une douzaine d’années, et dans son Paradis, un éphèbe transfiguré et radieux. Les autres peintres ont tous plus ou moins exagéré la tradition qui représente le solitaire du Jourdain maigre, hérissé, farouche. Ce ne pouvait être l’idéal de notre Athénien, qui n’a pas manqué de faire son saint Jean très beau, mais d’une beauté sévère, avec de grands traits, une chevelure longue, épaisse et seulement à demi inculte. Cette noble tête, pensive et austère, convient à merveille au jeune prophète et elle siérait au Christ lui-même ; mais saint Jean n’est-il pas le plus grand de tous ceux qui sont nés des femmes ? Thorvaldsen n’a eu garde d’en faire l’homme maigre et sec qui vit seulement de miel sauvage et de sauterelles. C’eût été plus exact peut-être, mais peu artistique et surtout hors de propos dans la place dominante que la