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n’est pas que la pensée ait faibli par momens chez un artiste de soixante-dix ans, c’est qu’il ait pu à cet âge modeler de telles compositions. Il est vrai que l’invention était moins difficile sur des sujets beaucoup moins neufs. Les mêmes caractères de vérité, de noblesse, d’intérêt dramatique et d’exactitude descriptive que nous avons vus ailleurs, nous les retrouvons dans ces bas-reliefs et certains groupes y sont admirables, par exemple celui des saintes femmes qui suivent le Christ au Calvaire. Suivant sa coutume, l’artiste s’est pénétré des textes qu’il veut traduire, au point de les remettre sous nos yeux. Seulement le style est ici moins animé et moins brillant, l’invention moins riche et la perfection moins soutenue que dans le Triomphe d’Alexandre, et ceux qui ont vu la frise du Quirinal n’ont rien à apprendre sur son auteur dans celles de Notre-Dame.

Revenons donc au musée si nous voulons admirer le maître dans ses bas-reliefs de petite dimension, qui nous montrent son génie sous son aspect le plus neuf, le plus individuel et le plus séduisant. Il y a là cent chefs-d’œuvre du genre, dont les originaux sont disséminés en Europe, si aimables et si gracieux qu’ils font presque oublier les belles statues leurs voisines. Sur eux du moins il n’y a pas de contestation possible et les juges les plus prévenus, les goûts les plus divers se sont tous inclinés devant ces merveilles que l’on croirait exhumées du sol hellène. C’est bien la Grèce qui revit ici, d’abord dans les procédés techniques de ces reliefs, dans cette simplicité d’ordonnance, dans ce modelé insaisissable, mais d’une si étonnante précision. Le relief des personnages est toujours très mesuré, rarement ils sont superposés, et lorsqu’il y a un simulacre de second plan, la saillie des figures y est aussi légère, aussi aérienne que sur les plus classiques bas-reliefs de la Grèce. Thorvaldsen n’avait pourtant que bien peu de modèles de cette délicate sculpture dans les collections de Rome : quelques processions de bacchanales sur des vases ou des autels, et trois ou quatre petites compositions mythologiques, dont la plus belle, les Adieux d’Orphée et d’Eurydice, à la villa Albani, l’a visiblement inspiré. Mais plus encore que la méthode de ces bas-reliefs, c’est leur style, leur esprit et leur accent, ce sont les attitudes et les costumes, les accessoires de toute sorte et enfin, chose plus surprenante, ce sont les types des personnages qui nous donnent de la Grèce une magique illusion. Soit qu’il retrace les scènes les plus dramatiques de l’Iliade, l’Enlèvement de Briséis, Hector chez Pâris, Priam aux pieds d’Achille, les Adieux d’Hector et d’Andromaque, soit que, retrouvant lui-même ce sourire mouillé de larmes qu’Homère a mis sur les lèvres de la Troyenne, il dessine sur le marbre, avec une étrange émotion, un mélange d’atticisme et de mélancolie,