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bronze de Saint-Pierre reste assurément à une grande distance de son modèle, cela n’est pas douteux ; mais elle n’en offre pas moins un sérieux intérêt. D’abord elle témoigne d’une façon éclatante que les Italiens, après avoir perdu l’art du bronze, l’avaient entièrement retrouvé. L’antiquité leur avait laissé en ce genre de beaux modèles, tels que la majestueuse porte du Panthéon, avec ses deux grands pilastres et ses clous richement ornés, la porte de l’église des Saints-Cosme et Damien, celle de Saint-Jean de Lateran, jadis placée, dit-on, à l’église de Saint-Adrien du forum, et que quelques-uns croient avoir appartenu à la basilique Émilienne. Pendant la seconde moitié du XIe siècle, les églises d’Amalfi, du Mont-Cassin, du mont Saint-Ange au Gargano, obtiennent de la libéralité d’une riche et pieuse famille amalfitaine des portes de bronze, mais qui sont fabriquées à Constantinople. C’est de là aussi et des mêmes donateurs qu’est venue, en 1070, celle de Saint-Paul hors les Murs, près de Rome, dont les cadres gravés, munis primitivement d’argent et d’or, représentent les Apôtres, les Prophètes et la Vie du Christ. Atteinte par le célèbre incendie de 1823, elle est conservée aujourd’hui dans les magasins de la basilique, à la façade de laquelle l’habile architecte M. Vespignani, qui l’a restituée, compte bien la replacer[1]. La porte de bronze de l’église de Salerne, de 1084, est encore de fabrication byzantine ; mais, dès le commencement du XIIe siècle, à Canosa dans la terre de Bari, à Saint-Marc de Venise, et puis à Troia, à Trani, à Ravello, à Monréal, à Bénévent, à Vérone[2], de nouvelles portes de bronze sont dues à des artistes italiens, Roger d’Amalfi, Oderisius de Bénévent, maître Barisanus de Trani. Parfois encore imitateurs serviles et maladroits des artistes de Constantinople, ils redeviennent bientôt indépendans ou même originaux.

La porte de bronze de Saint-Pierre offre encore un autre intérêt par ses représentations savantes, où l’on reconnaît un siècle d’effort littéraire et d’érudition. Il y a là plusieurs énigmes dont la solution pourrait bien avoir une certaine importance au point de vue de l’histoire littéraire du XVe siècle, mais qui resteront sans doute inexpliquées jusqu’à ce que les archives nous rendent quelque manuscrit de l’auteur traduisant ses propres vues. Pour tout dire, cet ouvrage du XVe siècle est fort peu connu, bien qu’il mérite de l’être. Qu’on nous permette d’y insister, ne serait-ce que pour montrer

  1. Il a fallu refaire en entier un de ses cadres, qui se trouve, on ne sait comment, au musée de Turin.
  2. On peut voir des reproductions figurées de la plupart de ces œuvres d’art dans le savant ouvrage de Schultz, Denkmaeler der kunst des Mittelalters in unter Italien, in-quarto et in-folio, 1860.