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personne qui ne s’en moque aujourd’hui ; et si l’on veut chercher qui a tué le mauvais romantisme, ce n’est pas à nos novateurs littéraires qu’en revient l’honneur : c’est l’opérette qui a fait cette besogne salutaire. Le « sabre de mon père » a tué « la croix de ma mère. » J’aimerais à voir M. Zola, qui se plaît à parler de Balzac, de M. Flaubert, et de MM. Edmond et Jules de Goncourt, faire une place dans l’histoire littéraire de ce siècle à ces railleurs impitoyables qui ont écrit Orphée aux enfers, la Belle Hélène et les Brigands. Leur œuvre assurément n’a pas été louable de tout point ; mais, s’il s’agit de dire qui a porté les coups redoutables aux recettes sentimentales et artificielles de 1830, il ne faut point oublier les vrais démolisseurs de la convention romantique. Ils en ont fait justice avec l’arme la plus mortelle en France, la moquerie.

M. Zola se plaint que le romantisme obstrue le siècle : il se trompe de vingt années. Le romantisme aujourd’hui n’obstrue rien et ne gêne personne. Il en reste simplement les hommes qui ont eu du génie ; ce serait dommage qu’il n’en fut pas ainsi, car nous y perdrions tous. Je souhaite aux naturalistes de faire de même et de tâcher eux aussi d’avoir, de temps en temps, du génie. Il pourrait alors leur arriver, à eux aussi, de durer, même quand la mode du naturalisme aura passé. Le plus sûr est encore de faire de belles choses, suivant une formule médiocre ou bonne. L’humanité ne croit plus à Vénus ni à Minerve ; mais elle admire toujours la Vénus de Milo et les frises du Parthénon ; elle pourrait cesser de croire au christianisme sans moins admirer pour cela la Dispute du Saint-Sacrement de Raphaël, ou la Création de l’homme de Michel-Ange.

Quand on cherche un enseignement positif dans les manifestes de M. Zola, en dehors de ses critiques contre le romantisme, on n’y trouve guère qu’une recommandation : l’étude de la nature et du « document humain. » C’est l’alpha et l’oméga des sermons du maître. Le « document humain » est le terme auquel il revient sans cesse pour définir son esthétique. J’avoue que le mot est de lui ; je ne crois pas que l’Académie française lui en ait grande jalousie. J’avoue encore qu’en ce temps d’études scientifiques, le mot a un petit air savant fait pour réjouir les gens spéciaux et pour imposer à la foule toujours respectueuse. Mais si le tienne est neuf, la doctrine l’est beaucoup moins. Je crains que M. Zola n’ait, après beaucoup d’autres, découvert l’Amérique. Il s’est vanté quelque part de n’être rien, pas même bachelier. Il n’y a sûrement nulle honte de n’être pas bachelier, et maint bachelier n’est parfois qu’un sot. Mais ce que maint bachelier pourrait lui dire, c’est que les artistes aussi bien que les écrivains, depuis qu’il y a au monde des écrivains et des artistes, ont toujours eu la prétention de faire usage du « document humain, » et de s’inspirer de la réalité. C’est tout justement à cause de cela que l’art et la littérature sont les plus précieux entre