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avait quatre : Sarah, née en 1802; Benjamin, né le 21 décembre 1804, et deux autres fils plus jeunes de quelques années. On dit que lord Beaconsfield eut pour parrain Rogers, le poète millionnaire, dont les dîners étaient aussi renommés que les vers, et qui menait de front la banque et la poésie ; la marraine fut Mrs Ellis, femme d’un critique alors en réputation. Ce fut, assure-t-on, sur leurs sollicitations réunies qu’Isaac Disraeli, absolument indifférent en matière de religion, consentit à faire entrer ses enfans dans le sein de l’église officielle. Ce fut du reste à peu près le seul souci qu’il prit de leur éducation et de leur avenir. Après quelques années passées dans un pensionnat de Winchester, Benjamin reçut, dans la maison paternelle, les leçons d’un professeur particulier, le docteur Cogan, qui lui enseigna le latin et le grec ; mais il fut surtout son propre maître. Abandonné à lui-même, sans conseil et sans direction, il passait une grande partie de son temps dans la bibliothèque de son père, lisant sans méthode et un peu au hasard tous les livres dont le titre éveillait sa curiosité, et ajoutant sans cesse par ces lectures assidues à la somme de ses connaissances. Il n’eut donc point les avantages de cette éducation des universités, si prisée des Anglais, et plus précieuse encore par les amitiés qu’elle fait naître et par les relations qu’elle prépare que par l’instruction qu’elle permet d’acquérir. En revanche, il n’en subit pas la routine et n’en contracta point les préjugés; si cette éducation solitaire fit entrer dans sa jeune tête des connaissances confuses et mal digérées et une foule de notions incohérentes que l’âge et la réflexion devaient rectifier, il lui dut en retour l’indépendance de son jugement, l’habitude de penser par lui-même et, dans l’expression de ses idées, un tour personnel et imprévu qui donnait à ses paroles la saveur de l’originalité.

A l’âge de dix-huit ans, il fut placé dans l’étude de MM. Swain et Cie, attorneys à Londres ; mais il n’y demeura que quelques mois, et, cédant sa place à son frère cadet, il partit pour un voyage sur le continent. Il visita successivement la France, l’Italie et enfin l’Allemagne, où le nom de son père et les lettres de recommandation dont il était muni lui ouvrirent la porte de plusieurs écrivains en renom, et particulièrement de Gœthe et d’Henri Heine. Il séjourna assez longtemps en Allemagne pour en apprendre la langue et en étudier la littérature, et il y contracta quelque peu ce goût pour les théories abstraites et ces habitudes de généralisation précipitée que les jeunes gens prennent volontiers pour des aptitudes philosophiques. La trace en est sensible dans plusieurs de ses ouvrages, et l’on ne saurait rapporter à une autre influence les conceptions nuageuses et les effusions mystiques auxquelles se complaît parfois un écrivain qui semble ne pour la satire et qui