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et cette imprudente curiosité faillit lui coûter la vie. Ce fut à grand’peine qu’on l’arracha des mains d’une foule irritée.

De Jérusalem, il se rendit en Égypte et remonta le Nil jusqu’aux cataractes, voyage alors plein de difficultés et de périls, et que bien peu d’Européens avaient osé entreprendre depuis l’expédition française. Ce fut ensuite le tour de l’Espagne, où il visita l’une après l’autre ces belles cités de l’Andalousie, autrefois habitées par les Séphardim, et qu’il s’est complu à décrire. Enfin, après une nouvelle visite à Venise et à Rome, où il passa l’hiver, il revint en Angleterre au mois de mars 1832, après une absence de trois années. Il rapportait d’Orient, outre des impressions ineffaçables dont la trace est manifeste dans tous ses livres, de nombreux matériaux, un poème, et le canevas sinon les manuscrits de trois romans.

Le premier en date de ces romans, le Jeune Duc, parut presque immédiatement après le retour de M. Disraeli en Angleterre. C’était une peinture de la haute société anglaise sous une forme vive et spirituelle et dans un style élégant, mais sans l’attrait particulier que des portraits vrais ou supposés avaient donné à Vivian Grey. Cet ouvrage fut favorablement accueilli par le public et par la critique, qui reprocha seulement à l’auteur d’avoir abusé des digressions et d’avoir fait de trop fréquentes allusions à ses voyages et à ses impressions personnelles. On ne remarqua point que c’était, comme Vivian Grey, une satire voilée de l’aristocratie anglaise, où l’auteur mettait en relief quelle éducation frivole et superficielle recevaient les enfans des plus illustres familles, quelle préparation insuffisante ces futurs législateurs apportaient dans la vie politique, et quel discrédit l’ignorance, l’incurie et les préjugés de la plupart des grands seigneurs faisaient rejaillir sur un ordre appelé à jouer un rôle considérable dans l’état. On ne saurait laisser passer inaperçu ce côté des deux premiers ouvrages de M. Disraeli : c’est l’éclosion d’idées auxquelles l’auteur demeurera fidèle; s’il veut maintenir entre les mains de l’aristocratie la haute direction des affaires publiques, c’est à la condition qu’elle se fera la gardienne des intérêts des masses, et qu’ayant la facilité et par conséquent le devoir de tout apprendre, elle justifiera sa prépondérance en se montrant toujours la classe la plus instruite, la plus éclairée, la plus vraiment libérale de la nation.

Au Jeune Duc succéda, en 1833, Contarini Fleming, que l’auteur intitula lui-même « revue psychologique. » C’est l’histoire d’une âme ardente et généreuse, incapable de résister à ses premières impressions et passant d’un entraînement à un autre sans pouvoir jamais se tenir dans une juste mesure ni arriver à la fixité. Dans ce roman, les événemens comme les caractères dépassent toutes les