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de 1834, les trois premiers chants d’une œuvre poétique qui en devait avoir six : l’Épopée des révolutions (the Revolitionary Epick). M. Disraeli a raconté lui-même qu’en visitant les ruines de Troie, et l’imagination échauffée par les souvenirs poétiques que ces ruines lui rappelaient, la pensée lui était venue de mettre en vers la lutte et les vicissitudes des diverses formes de gouvernement. L’âge des héros avait donné naissance à une épopée héroïque et guerrière, l’Iliade ; le grand mouvement de la réforme avait enfanté une épopée religieuse, le Paradis perdu; notre époque, marquée par tant d’agitations et de bouleversemens, semblait appeler une épopée politique. De cette conception était sortie une œuvre étrange, une de ces interminables et fastidieuses allégories dont Chaucer et Bunyan avaient déjà donné des exemples, le premier en vers et le second en prose. On devine aisément quel genre d’intérêt peut inspirer la lutte de Magros et de Lyridon, représentant l’un le principe féodal et l’autre le principe fédératif ou républicain, avec leur cortège de personnages symboliques. Foi, Fidélité, Chevalerie, Opinion, etc. Par une juste défiance de ses facultés poétiques, M. Disraeli ne fit imprimer la première partie de l’Épopée des révolutions qu’à cinquante exemplaires, destinés à des amis particuliers et aux journaux, dont il désirait provoquer le jugement. S’inclinant devant leur arrêt, il renonça à continuer son œuvre et dit adieu à la poésie. C’était agir en homme d’esprit : il avait tout à gagner à rentrer dans sa véritable voie.


II.

Il semble que trois romans et un poème publiés en deux années auraient dû suffire à absorber l’activité de l’homme le plus laborieux et le mieux doué. Loin qu’il en eût été ainsi, M. Disraeli avait encore trouvé moyen de consacrer un temps considérable à la politique, et déjà il songeait à abandonner la littérature pour la carrière parlementaire. Il était parti pour l’Orient au moment où l’émancipation des catholiques faisait entrer dans la chambre des communes un élément nouveau avec lequel les hommes politiques devaient désormais compter parce qu’il pouvait déplacer la majorité; à l’agitation en faveur de l’égalité religieuse en avait succédé une autre qui avait pour objet la réforme de la chambre des communes elle-même. Cette agitation avait atteint son paroxysme au printemps de 1832, précisément au moment où M. Disraeli revenait en Angleterre. La présence d’un ministère libéral au pouvoir arrêtait seule l’explosion de l’irritation populaire; la chambre des lords avait deux fois rejeté le bill de réforme, mais sa résistance semblait épuisée; le duc de Wellington jugeait que le moment de céder