Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II.

Qu’il est fâcheux que nous ne possédions pas une histoire complète de la littérature et des arts de la Grèce à l’époque alexandrine ! Ce n’est certes pas un temps qui puisse se comparer avec le siècle de Périclès. Le goût s’est étrangement affadi ; la subtilité, la recherche, le pédantisme, ont pris la place du naturel ; on sent que les jours d’invention facile sont passés et que l’originalité ne s’obtient plus sans efforts. Mais que d’éclat encore dans cette décadence ! À côté de défauts choquans, que de rares qualités ! que de grâce et de délicatesse dans cette poésie prétentieuse ! que d’audace et de nouveauté dans ces spéculations téméraires ! Partout enfin, dans la critique, dans la philosophie, dans les sciences exactes, dans les beaux-arts, que d’idées agitées, que d’horizons nouveaux entrevus ! Cette dernière fécondité de l’esprit grec, qui se rajeunit au moment où il semblait épuisé de produire, est un spectacle curieux qui mérite d’attirer l’attention de tous les amis des lettres. Mais elle a encore pour nous un autre intérêt. Songeons que les Romains n’ont été en relation directe avec l’Orient qu’après la mort d’Alexandre. C’est alors « que les vaincus mirent la main sur leurs fiers vainqueurs » et que la Grèce les conquit en leur communiquant sa littérature et ses arts. C’est aussi à ce moment qu’il importe de l’étudier pour savoir ce qu’elle a pu donner au monde occidental par l’intermédiaire de Rome et ce qui est entré d’elle dans le grand courant de notre civilisation. Cette question a trop d’importance pour ne pas tenter les savans de tous les pays. Aussi plusieurs des travaux que vient de publier l’Allemagne sont-ils dirigés de ce côté. Il y a quelque temps, nous étions conduits, en analysant l’ouvrage de M. Rohde sur le roman grec, à parler de la littérature alexandrine d’où il est sorti[1]. Le livre de M. Helbig nous y ramène aujourd’hui. Pour nous faire comprendre le caractère des peintures de Pompéi, qui ne sont que des copies d’une école hellénistique, il est forcé d’étudier les conditions nouvelles dans lesquelles l’art s’est trouvé après Alexandre : suivons-le dans ces intéressantes recherches.

Je ne crois pas qu’il y ait d’autre exemple d’une révolution aussi rapide et aussi durable que celle qui fut opérée par les victoires d’Alexandre. Quelques années lui suffirent, non-seulement pour vaincre l’Orient, mais pour le transformer. Ce qui est plus étonnant encore dans cette courte et décisive expédition, c’est que le vainqueur en sortit presque aussi changé que le vaincu ; en sorte

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1879.